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SPINOZA.[1]

Le monde a-t-il commencé, ou est-il éternel ? A-t-il une cause, ou subsiste-t-il par sa propre force ? Au-delà de ces phénomènes et de leurs lois, la pensée peut-elle saisir un être tout-puissant et infini qui répand partout l’existence et la vie et sème les mondes à travers l’espace ? Il n’est point d’engourdissement si profond des sens et de la matière que de telles questions ne puissent secouer. Sorti de l’éternel et nécessaire enchaînement des causes, ou appelé par la Providence, l’homme, intelligent et libre, se sent dépositaire de sa destinée. Avant d’arriver à ce terme où les générations s’engloutissent, il faut bien, chacun à notre tour, nous mettre en face de ce redoutable peut-être, et toucher à ces questions suprêmes qui contiennent dans leurs profondeurs, avec le secret de notre destinée à venir, la sécurité et la dignité de notre condition présente. Userai-je de ma liberté au hasard ? Non ; comme il n’y a point de hasard dans l’univers, il ne doit pas y en avoir dans la vie. Autour de moi, tout s’enchaîne, tout conspire dans une parfaite et constante harmonie, et moi qui réagis librement sur le monde, moi qui le comprends dans ma pensée, miroir vivant de l’harmonie universelle, je n’apporterais

  1. Œuvres de Spinoza, traduites par M. E. Saisset. 2 vol. in-18, Bibliothèque Charpentier.