nous promet après la mort, et de prendre pour immortalité ce retour à l’ame universelle par la destruction de la limitation et du souvenir, c’est ce qu’aucun sophisme ne gagnera jamais sur la conscience de l’humanité. Placez l’intérêt où vous voudrez ; s’il se résout dans les joies de ce monde, et s’il est l’unique fondement de la morale, en vain parlerez-vous de vertu et d’amour de Dieu ; vous ne produirez qu’une illusion, et ce sera un danger de plus.
Faut-il maintenant, suivant le précepte de Platon, juger la morale de Spinoza par sa politique et contempler la même doctrine sur une plus grande échelle ? Il nous présente d’abord l’état de nature, et voici la description qu’il en donne : « Les poissons sont naturellement faits pour nager, les plus grands pour manger les petits, et conséquemment, en vertu du droit naturel, les plus grands mangent les petits. » L’état ne peut avoir d’autre origine que la coalition des intérêts, et prenez-y garde, la conséquence de Hobbes est tout près : c’est que le mal caché et impuni cesse d’être un mal. Enchaînerez-vous l’homme à un serment ? dit Spinoza. Folie ! Il n’y a qu’un secret pour s’assurer de sa fidélité ; faites qu’elle lui profite. Avec l’intérêt mis à la place du droit, la société n’a plus qu’une ressource, c’est d’armer le pouvoir d’une autorité despotique et absolue. Spinoza n’y manque pas ; si l’idée de la tyrannie traverse un instant sa pensée, il se rassure aussitôt en songeant que le dépositaire du pouvoir, par l’abus même de son autorité, en compromettrait la durée. L’intérêt du souverain à se conserver, voilà donc la seule sauve-garde qui reste à la liberté. Spinoza détruit ici les droits du citoyen comme il en a détruit les devoirs. Il dit au souverain : « Votre droit n’a d’autre limite que votre puissance ; vous avez donc le droit de disposer, selon vos caprices, de la propriété, de la vie, de l’honneur de vos sujets, mais vous ne pouvez exercer ce droit qu’à condition de la diminuer, de détruire votre puissance ; donc ce droit lui-même, vous ne l’avez réellement pas. » Spinoza dit ensuite à l’individu : « La nature vous donne le droit de tromper, de dépouiller vos semblables, puisqu’elle vous en donne la puissance ; mais en agissant de la sorte, vous vous nuisez à vous-même, vous vous diminuez, vous détruisez votre puissance, source et limite de votre droit. Soyez donc honnête et sincère, pour être vraiment fort et puissant. » À coup sûr, si un tel langage révèle une intention honnête dans une intelligence égarée, il trahit en même temps une singulière ignorance du cœur humain. Le tyran, l’homme fourbe, prendront votre précepte à la lettre, et n’en