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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/786

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d’où il sort, si cela peut s’appeler reconnaître un Dieu, je ne sais pas, pour moi, ce qui s’appelle n’en reconnaître point. » L’ami se trompe ; nier Dieu, c’est nier l’infini. Spinoza ne l’a pas nié, il l’a méconnu, et ce serait entreprendre une longue liste d’athées que d’y inscrire tous ceux qui conçoivent Dieu autrement que nous. Mais c’était, à cette époque, l’erreur ou l’injustice commune de transformer Spinoza en athée ; Bayle l’appelait un athée de système, et qui ne connaît ces vers de Voltaire ?

Alors un petit Juif, au long nez, au teint blême,
Pauvre, mais satisfait, pensif et retiré,
Esprit subtil et creux, moins lu que célébré,
Caché sous le manteau de Descartes son maître,
Marchant à pas comptés, s’approcha du grand Être :
« Pardonnez-moi, dit-il en lui parlant tout bas,
Mais je crois, entre nous, que vous n’existez pas.
J’ai de plats écoliers et de mauvais critiques,
Jugez-nous. » À ces mots tout le globe trembla ;
Et d’horreur et d’effroi saint Thomas recula…

Voltaire ne fait que railler suivant sa coutume, et Bayle se hâte d’accuser Spinoza d’athéisme, peut-être parce qu’il y avait pour lui quelque danger à ne pas le faire. Si l’on avait réfuté Spinoza avec modération, on se serait rendu suspect. Les théologiens avaient donné le ton les premiers. Leur colère traverse le système de Spinoza pour atteindre sa personne, et l’on voit bien, à cette violente explosion de haine, qu’ils combattent pour leurs foyers et pour leurs autels. Spinoza ne répondait pas, il ne doutait pas non plus ; ce n’était pas une ame qu’on pût ébranler. S’il souffrait, c’est un secret entre lui et Dieu, car on fouillerait vainement dans sa vie et dans ses écrits pour y trouver une plainte. Aujourd’hui, on peut réfuter le système et rendre justice à l’homme. Spinoza ne fut ni athée, ni impie. Sa vie est pure, et, il faut le dire enfin, puisqu’il a été tant calomnié, elle est héroïque. Pourquoi s’est-il condamné à la haine, aux persécutions ? Ce n’est ni pour la richesse, ni pour les honneurs, ni pour la gloire. L’amour seul de la vérité l’a conduit ; il n’a pas connu la vérité, mais il l’a cherchée toute sa vie, et ce fut son unique amour. Théologien, érudit, philosophe profond, dialecticien d’une incomparable vigueur, il est au premier rang par le savoir et par le génie dans toutes les branches des connaissances humaines qu’il a abordées. Son style même, qu’il ne songe pas à orner, se ressent de