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d’une part et de l’autre à la totalité des phénomènes deux substances séparées.

Même contradiction pour l’autre attribut de Dieu que nous connaissons, l’étendue. On pardonnerait peut-être à Spinoza de dire que la substance n’a pas d’étendue, quoiqu’elle produise des phénomènes étendus. Il ne le dit pas ; ce n’est pas là sa doctrine. Il donne l’étendue à la substance infinie comme un de ses attributs nécessaires, et cette étendue, qui appartient directement à l’infini, est par conséquent infinie elle-même et indivisible. Qu’est cela, une étendue indivisible ? est-ce l’espace ? L’espace n’est pas l’étendue réelle, mais l’étendue possible ; cette étendue n’est donc pas l’espace, elle n’est rien. Passons sur cette première contradiction. L’étendue infinie et indivisible se développe nécessairement en une infinité de figures, c’est-à-dire qu’elle produit en elle-même une autre étendue, également infinie, mais cette fois divisible. Or, je le demande, cette dernière étendue n’est-elle pas la seule possible et la seule réelle ? Et peut-on voir dans l’attribut distinct de sa substance et de son développement autre chose qu’une abstraction qui fait illusion à Spinoza lui-même et qui joue dans ses discours, sinon dans la nature, le rôle d’une réalité ?

Spinoza sentait bien qu’il y a opposition réelle entre ces deux ordres d’idées, que les unes sont le développement de la notion du fini, tandis qu’il y a dans les autres la trace et comme le sceau de l’infinité et de la perfection. Il insiste lui-même sur ces différences, il les fait ressortir et les démontre avec rigueur. Pour tout autre que lui, une opposition si complète entre les propriétés entraînait la séparation des substances ; mais ayant démontré dès le commencement que la substance est unique, et ne pouvant pas attribuer à la même forme d’existence des propriétés contradictoires, toute sa ressource est d’introduire ces idées intermédiaires et de masquer une contradiction véritable sous une distinction toute nominale et artificielle.

La plus redoutable attaque qu’ait jamais essuyée l’autorité souveraine de la raison, c’est la dialectique de Kant, armée des antinomies, qui l’a dirigée contre elle. L’illustre auteur des Leçons sur la Philosophie de Kant résout toutes les contradictions signalées par l’école critique en rétablissant dans les choses la distinction des deux natures, et dans l’homme la distinction des deux facultés, la raison et l’expérience. Mais qu’aurait pu répondre Spinoza, qui n’admet qu’une seule nature, et ne reconnaît que la raison ?