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que et la Grèce, son excessive fertilité, lui assureraient une immense importance. Ses huiles seules suffiraient à l’activité des commerçans et retiendraient dans le pays les marins émigrans dont le nombre augmente tous les jours. En outre, les Candiotes sont Grecs, et ils ont prouvé, il y a deux ans, par leur révolte, combien est vif leur désir d’être réunis à la mère-patrie. Ce désir s’explique plus facilement par l’amour national que par l’intérêt matériel. La domination turque n’est pas pour eux sans avantages. Soumis à la Porte, les Candiotes vivent, il est vrai, dans un état de vasselage, mais par leur activité ils se sont rendus indispensables, et ont acquis une puissance qui rend illusoire celle de leurs maîtres. Légalement ils ne possèdent pas, puisque dans les pays turcs les Turcs seuls sont possesseurs, et que les rayas n’ont ni le droit d’avoir ni le pouvoir d’acquérir ; par le fait cependant, ils ont tous les avantages de la propriété. D’abord tributaires et du pacha qui les gouverne et du propriétaire pour lequel ils exploitent, ils s’affranchissent plus tard de la redevance, et l’impôt seul reste à leur charge. Les baux sont ainsi faits que la rente qu’ils doivent payer, eux rayas, au Turc leur maître ou à la mosquée qui les occupe (car les mosquées, comme autrefois les couvens en France, ont, en Turquie, de grandes possessions), va diminuant tous les ans et s’éteint au bout d’un certain laps de temps, en sorte que, sans devenir propriétaires du terrain qu’ils cultivent, ils en acquièrent tout le revenu. Les Turcs, ne travaillant pas par eux-mêmes, sont forcés de subir les conditions de leurs rayas, si onéreuses qu’elles soient, sous peine de laisser leurs terres incultes et de n’en retirer aucun rapport. Aussi dans les pays turcs voit-on les rayas hériter de la fortune de leurs maîtres, et les Grecs s’enrichir au fur et à mesure que les musulmans s’appauvrissent. Seul, le pouvoir arbitraire du pacha peut contrarier cet ordre de choses. Préposé à l’administration d’une île ou d’une province, il s’est fait, pour ainsi dire, le fermier du gouvernement et a pris à bail cette île ou cette province. Souverain absolu, ne relevant que d’une autorité éloignée et peu soucieuse de ses actes, il prélève, par tous les moyens qui lui paraissent convenables, le tribut dû au sultan et quelquefois, par des exactions cruelles, un second tribut pour lui-même. Mais si des pachas ont fait à leur profit des razzias dans leurs provinces, on doit ajouter que ces exemples de barbarie sont devenus excessivement rares depuis la publication du hatti-scheriff, et les rayas n’ont guère à souffrir maintenant de leur avarice, ni de leur despotisme. Les