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LE MONT DES OLIVIERS.

Qui souffre avec ma chair et frémit dans ta main ?
C’est que la Terre a peur de rester seule et veuve
Quand meurt celui qui dit une parole neuve ;
Et que tu n’as laissé dans son sein desséché
Tomber qu’un mot du ciel par ma bouche épanché.
Mais ce mot est si pur, et sa douceur est telle,
Qu’il a comme enivré la famille mortelle
D’une goutte de vie et de divinité,
Lorsqu’en ouvrant les bras, j’ai dit : Fraternité.


— Père, oh ! si j’ai rempli mon douloureux message,
Si j’ai caché le Dieu sous la face du sage,
Du sacrifice humain si j’ai changé le prix,
Pour l’offrande des corps recevant les esprits,
Substituant partout aux choses le symbole,
La parole au combat, comme aux trésors l’obole,
Aux flots rouges du sang les flots vermeils du vin,
Aux membres de la chair le pain blanc sans levain ;
Si j’ai coupé les temps en deux parts, l’une esclave
Et l’autre libre ; — au nom du passé que je lave
Par le sang de mon corps qui souffre et va finir,
Versons-en la moitié pour laver l’avenir !
Père libérateur ! jette aujourd’hui, d’avance,
La moitié de ce sang d’amour et d’innocence
Sur la tête de ceux qui viendront en disant :
« — Il est permis pour tous de tuer l’innocent. »
Nous savons qu’il naîtra, dans le lointain des âges,
Des dominateurs durs escortés de faux sages,
Qui troubleront l’esprit de chaque nation
En donnant un faux sens à ma Rédemption.
— Hélas ! je parle encor que déjà ma parole
Est tournée en poison dans chaque parabole ;
Éloigne ce calice impur et plus amer
Que le fiel, ou l’absinthe, ou les eaux de la mer.