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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/848

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REVUE DES DEUX MONDES.

à prêter leur concours, ce personnage matinal s’approcha d’un groupe de commissionnaires qui devisaient bruyamment devant le bureau des voyageurs.

— La malle-poste de Lille est-elle arrivée ? leur demanda-t-il avec un accent où perçait une secrète inquiétude.

— Non, monsieur, dirent plusieurs voix en même temps.

Rassuré par cette réponse, l’interrogateur rebroussa chemin jusqu’à la grande porte de l’hôtel. De cette place, aucune des voitures qui à pareille heure arrivent presque sans interruption ne pouvait échapper à sa surveillance. Le poste choisi, restait à conjurer l’ennui d’une faction dont la durée était incertaine, et qu’une sombre matinée d’hiver rendait peu attrayante. L’inconnu remédia, autant qu’il dépendait de lui, à ce double inconvénient en allumant un cigare et en s’enveloppant soigneusement de son manteau ; puis il s’adossa contre un des battans de la porte et demeura immobile, sans donner d’autre signe d’existence que les bouffées de fumée qui s’exhalaient à intervalles égaux du coin de sa moustache. Plusieurs voitures chargées du service des dépêches défilèrent successivement devant lui ; lorsqu’un de ces tourbillons à quatre roues se ruait dans la cour, au bruit du cornet du conducteur, il se penchait pour saisir au passage le nom de ville peint sur les panneaux, et à chaque espoir déçu il reprenait sa silencieuse attitude.

Une demi-heure déjà s’était passée ainsi, sans que le patient observateur parût découragé. En ce moment, pour la dixième fois, son attention fut attirée vers la rue par un bruit de voiture. Au lieu d’une malle-poste qu’il s’attendait à voir paraître, il aperçut presque aussitôt deux fiacres roulant d’une vitesse inaccoutumée. Ces respectables véhicules, à qui l’entrée de l’hôtel était pour le moment interdite, s’arrêtèrent devant la porte simultanément, comme si un cocher unique les eût gouvernés ; mais une seule portière s’ouvrit. Sans attendre que le marche-pied fût abaissé, un nouveau personnage s’élança sur le trottoir d’un air affairé, qui annonçait évidemment la crainte d’être en retard ; il se précipita aussitôt vers la cour, et s’adressant au premier individu qu’il rencontra sur son passage :

— Monsieur, dit-il vivement, pourriez-vous me dire si la malle-poste de Lille est arrivée ?

Avant de répondre, l’homme au manteau, car c’était lui qui à son tour se trouvait interrogé, plongea un regard perçant dans l’étroit espace qui existait entre le chapeau du nouveau venu et les replis d’un immense cache-nez qui lui emmaillotait prudemment la figure.