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des Sigismond revêtue encore d’un dernier éclat par la piété de leurs successeurs et le ciseau d’un habile artiste. Dans les caveaux sont les restes des héros auxquels la Pologne a voué un éternel sentiment d’amour et de vénération. Conduit par un sacristain sous ces voûtes, à la lueur d’une lampe vacillante, je lis sur un sarcophage noir le nom de Sobieski, sur un autre celui de Kosciuzko, sur un troisième celui de Poniatowski, glorieux assemblage de trois noms impérissables séparés par le temps, réunis par la tombe, derniers trésors d’un peuple auquel on a tout enlevé. Ah ! que la Pologne les garde avec un religieux respect, ces trésors de son honneur et de sa liberté, comme une ame surprise par le malheur garde dans ses jours d’angoisses la riante pensée qui anima sa jeunesse, le sentiment qui l’ennoblit, l’illusion qui lui donne encore une lueur d’espoir.

Dirai-je maintenant ce qu’est devenue cette ville enrichie jadis par tant de rois, illustrée par tant de pages historiques ? En 1795, quand les trois puissances qui entourent la Pologne comme des oiseaux de proie lacérèrent pour la troisième fois cette contrée, victime d’un dernier élan de patriotisme, vaincue sur le champ de bataille où tomba Kosciuzko, l’Autriche s’empara des palatinats de Cracovie, de Sandomir, de Lublin, et autres districts adjacens. En 1809, la vieille cité des souverains fut incorporée avec la Gallicie occidentale au duché de Varsovie. En 1815, elle fut, au congrès de Vienne, l’objet de plusieurs notes de chancellerie. L’Autriche la réclamait comme position stratégique, et la Russie, comprenant toute l’importance de cette situation, ne voulait pas l’abandonner. Le congrès de Vienne, qui, tout en dansant, comme l’a dit le prince de Ligne, morcelait pourtant assez vivement les états condamnés par lui, traînait cette affaire en longueur, quand tout à coup la nouvelle du débarquement de Napoléon, tombant comme un coup de foudre au milieu du conclave diplomatique, fit sentir aux puissances rivales le besoin de s’entendre et de se rapprocher. De part et d’autre, on se fit des concessions, et cet accord de deux empires despotiques enfanta, devinez quoi ? une république. Cracovie fut déclarée chef-lieu d’un district renfermant environ cent trente mille habitans, et investie du titre de ville libre. En lui donnant ce nom, qui impliquait nécessairement un caractère d’indépendance, l’Autriche et la Russie ne crurent pas devoir cependant abandonner à ses propres forces et à sa sagesse l’état qu’elles venaient de procréer. Elles le traitèrent comme un enfant qu’on tient à la lisière, et réglèrent comme de graves précepteurs les conditions de son existence matérielle et politique. Le prince Adam Czartoriski rédigea lui-même dans le cabinet d’Alexandre la constitution de la république cracovienne, et cette constitution était, il faut le dire, très libérale. C’était le temps où les souverains, agités par les guerres orageuses de l’empire et tremblant encore sur leur trône, essayaient de regagner l’affection de leurs sujets, qui seule pouvait les raffermir. Le congrès avait les mains pleines de projets généreux et de chartes superbes. À en croire ses missionnaires, le monde entier allait entrer dans une merveilleuse voie de quiétude et de prospérité. Les vieux abus, battus en brèche, allaient cesser,