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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

Valentin Gentilis, Bernard Ochin, Paruta, Gribaldi, Blandrata et Alciati. Lélio Socin, malgré sa grande jeunesse (il était âgé de vingt-un ans), dirigea les travaux de l’assemblée, et, pour avoir formulé la doctrine qu’elle promulgua, finit par y attacher son nom. Quelques biographes du xviiie siècle ont étourdiment avancé que le neveu de Lélio, Faustus Socin, prenait part aussi aux délibérations de Vicence, bien que, disent-ils, Faustus ne fût encore qu’un enfant. C’eût été là un enfant d’une précocité merveilleuse, car en 1546, époque à laquelle se forma la réunion, Faustus Socin avait tout au plus sept ans ; mais nous concevons sans peine qu’au risque d’un anachronisme on se soit complu à placer près de Lélio le lutteur infatigable qui, après de longues années perdues dans les plaisirs, agrandit l’œuvre de son oncle et lui donna la consécration de la gloire ; — à côté du penseur qui fondait la doctrine, on aimerait à voir en effet l’homme d’action qui, un jour, devait fonder la secte.

Toutes les sociétés qui, au xvie siècle, prirent le titre d’églises réformées, avaient proclamé en principe que l’unique règle de la foi était la parole de Dieu contenue dans les livres saints, et que tout fidèle était juge du sens de ces livres. Ce fut là également le point de départ de l’assemblée de Vicence ; mais, pour dissiper la confusion qui, par les dissidences luthériennes ou calvinistes, enveloppait déjà l’Europe entière, elle résolut d’établir certaines lois de critique, une certaine méthode d’investigation et d’analyse à laquelle on fût tenu de se conformer toutes les fois que l’on tenterait une œuvre aussi vaste et aussi complexe que l’interprétation des livres saints. L’assemblée de Vicence admettait les deux Testamens ; seulement, elle affirmait que la religion chrétienne se trouvait renfermée dans les seuls livres du nouveau ; c’était en pure perte que l’on recherchait les principes et les fondemens de la foi dans les livres de l’ancien, à plus forte raison dans des livres humains, comme les écrits des pères, des conciles et des souverains pontifes. À la fougueuse inspiration luthérienne elle substitua les calmes et sévères procédés de la philosophie. L’esprit du socinianisme est là dans toute sa pureté. Dès ce moment, on peut nettement distinguer le rang où la secte se tiendra parmi les opinions qui vont se disputer les consciences ; on conçoit d’avance que, si les idées de l’assemblée de Vicence formulées par les deux Socin ne doivent enfanter aucune superstition, elles ne pourront fomenter le moindre fanatisme ; on conçoit enfin que, si, de l’un à l’autre bout des deux siècles qu’elles vont emplir de leurs vicissitudes brillantes, elles exercent une puissante fascination sur les intelligences et les caractères d’élite, elles resteront toujours incomprises de la foule, qui finira par les maudire et les persécuter. En supprimant le dogme de la transsubstantiation, Calvin avait détaché des peuples entiers du luthéranisme. Pour l’emporter sur Calvin, les deux Socin nièrent la trinité catholique et l’union des deux natures ; mais, en fait de doctrines religieuses, les masses ne se préoccupent guère des spéculations. Elles croient ou s’imaginent croire, et se reposent doucement dans cette persuasion. On les voit s’accommoder à merveille d’une doctrine