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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/919

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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

de calamité, son protecteur, son ami, François de Médicis, vint à mourir avant même qu’il fût rétabli de ses blessures, et ses biens d’Italie, les seuls qu’il possédât au monde, ayant subi la confiscation retardée par le grand-duc, il tomba tout à coup dans un complet dénuement. Faustus Socin, si manifestement favorisé d’abord par la fortune, supporta de sang-froid, et sans se laisser abattre, les épreuves qu’elle tenait en réserve pour sa vieillesse. De toutes les richesses que lui enlevèrent de si soudaines catastrophes, il ne regretta que ses manuscrits, un surtout, dans lequel, au nom des écoles chrétiennes, il avait entrepris une vaste réfutation de l’athéisme et des doctrines opposées à la révélation. Cet ouvrage, qu’il fut impossible de retrouver, malgré les plus minutieuses recherches, Faustus le pleura, dit-on, avec des larmes de sang. Il eût voulu, lui-même le déclare dans les lettres qu’il écrivit par la suite à ses amis et à ses disciples, le racheter de sa vie, non pas de cette vie languissante qui s’achevait tristement sous l’effort de toutes les douleurs et de toutes les misères, mais d’une vie nouvelle, toute pleine de gloire et de triomphes, si Dieu lui eût permis de recommencer. Avant sa mort, il eut du moins la consolation d’assister à l’assemblée générale où les anti-trinitaires de Pologne cimentèrent leur union et prirent le nom de Frères polonais. Faustus Socin s’éteignit, dans le village de Luclavie, le troisième jour de mars 1604. Il avait repris confiance dans l’avenir de sa secte, s’il est vrai qu’à son lit de mort il se soit écrié : Avant dix ans, l’Europe s’étonnera de se réveiller socinienne. Le vieux lutteur ne savait point qu’au moment où il finissait, un homme était né déjà, qui s’appelait Descartes, et que cet homme, déplaçant les grandes questions philosophiques et substituant à la critique des textes la critique même des idées, l’étude rigoureuse et directe des facultés de l’intelligence, devait un jour rallier les esprits indépendans et les enhardir aux plus difficiles conquêtes de la pensée ; il ne prévoyait point que les plus puissans gouvernemens de l’Europe allaient s’acharner à la perte de tous les siens. Hélas ! cette même Pologne qui, sous sa parole, avait tour à tour et si long-temps frémi de colère ou d’enthousiasme, ce beau pays aujourd’hui bâillonné, mais qui, au xvie siècle, avait pour toutes les opinions, pour toutes les sectes, de si bruyantes arènes, des chaires si éloquentes, de si savantes universités, la Pologne elle-même devait donner le signal des persécutions et des anathèmes. La Pologne ne voulut rien garder de Faustus, même ses ossemens[1]. Cinquante ans après sa mort, quelques soldats de Cracovie, poussés par une haine devenue pour ainsi dire instinctive, ouvrirent de force sa tombe à Luclavie, enlevèrent ses restes, qu’ils transportèrent sur terre musulmane, et, après en avoir chargé un canon, les lancèrent à l’en-

  1. Nous laissons la responsabilité de ce fait aux ennemis de la secte, qui s’attachent, comme le père Guichard et un anonyme qui publia, en 1723, une histoire du socinianisme, à exagérer les haines dont les deux hérétiques ont été l’objet. Il y a dans leurs diatribes une ardeur de controverse, qui, à toutes les pages, semble s’allumer aux bûchers du xvie siècle.