Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
REVUE DES DEUX MONDES.

croire que le jury ait porté si loin ses prévisions ; de si grandes vues sont trop étrangères à ses modestes fonctions pour qu’on l’en soupçonne gratuitement. Ce bruit n’a sans doute d’autre fondement que le besoin d’expliquer d’une manière un peu raisonnable la rigueur inusitée avec laquelle il a sévi cette année ; et si ses verdicts ont eu tant de retentissement, c’est moins à cause du nombre des condamnations qu’à cause du rang et de la position des condamnés. Les plaintes des blessés, qui d’ordinaire s’exhalaient obscurément et à vide, ont ému l’opinion publique ; elles ont, à ce qu’on assure, éveillé la sollicitude royale. On parle même d’une démonstration collective projetée par les artistes, et formulée dans une supplique adressée directement au roi. Cette supplique, déjà rédigée et couverte de nombreuses et notables signatures, sera, tout porte à le croire, sincère, équitable, modérée, respectueuse, digne, en un mot, et de ceux qui la font, et de ceux à l’occasion de qui elle est faite, et de l’autorité souveraine à qui elle est adressée.

La critique ne saurait rester indifférente et neutre dans ce mouvement.

Il est si facile de déclamer, et on a tant usé de la déclamation à l’égard du jury, qu’on s’est habitué, et qu’il s’est surtout habitué lui-même, à ne voir dans les plaintes dont il est l’objet que des lieux-communs d’opposition, que tout pouvoir grand ou petit, doit se résigner à supporter philosophiquement. Rassuré par cet axiome de haute politique pratique, le jury poursuit tranquillement le cours de ses opérations et, si parfois il arrache quelques cris aux patiens, il n’a pas de peine à se les expliquer par la susceptibilité tout exceptionnelle des vanités auxquelles il a affaire. De leur côté, les artistes rejetés ne songent guère à chercher le motif de leur exclusion dans la cause la plus naturelle, la mauvaise qualité de leur œuvre ; ils préfèrent supposer quelque machination secrète d’un ennemi imaginaire, quelque mystère d’iniquité bien noir. Ils se donnent tous, et chacun individuellement, pour des victimes innocentes, et le public, qui ne s’attendrit pas aisément sur les malheurs de ce genre, les laisse crier. Dans certaines occasions, les battus ont voulu résister. Ils ont, entre autres moyens, essayé des expositions particulières des œuvres refusées, genre de protestation qu’ils avaient l’amour-propre de croire irréfutable et décisif ; mais ces exhibitions, auxquelles, à tort ou à raison, les hommes de quelque valeur ne voulaient point coopérer ont toujours été si pitoyables, qu’on aurait pu les croire faites moins dans l’intérêt des exposans que dans celui du jury. C’est