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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/1010

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REVUE DES DEUX MONDES.

Quand deux personnes sont de même sentiment, elles ne devinent point, ou du moins il y en a une qui devine ce que veut dire l’autre, sans que cette autre l’entende, ou qu’il ose l’entendre.

Quand nous aimons, nous paraissons à nous-mêmes tout autres que nous n’étions auparavant. Ainsi, nous nous imaginons que tout le monde s’en aperçoit ; cependant, il n’y a rien de si faux. Mais parce que la raison a sa vue bornée par la passion, l’on ne peut s’assurer, et l’on est toujours dans la défiance.

Quand l’on aime, on se persuade que l’on découvrirait la passion d’un autre : ainsi l’on a peur.

Tant plus le chemin est long dans l’amour, tant plus un esprit délicat sent de plaisir.

Il y a de certains esprits à qui il faut donner long-temps des espérances, et ce sont les délicats. Il y en a d’autres qui ne peuvent pas résister long-temps aux difficultés, et ce sont les plus grossiers. Les premiers aiment plus long-temps, et avec plus d’agrément ; les autres aiment plus vite, avec plus de liberté, et finissent bientôt.

Le premier effet de l’amour, c’est d’inspirer un grand respect : l’on a de la vénération pour ce que l’on aime. Il est bien juste ; on ne reconnaît rien au monde de grand comme cela.

Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvemens de l’amour de leurs héros : il faudrait qu’ils fussent héros eux-mêmes.

L’égarement à aimer en divers endroits est aussi monstrueux que l’injustice dans l’esprit.

En amour, un silence vaut mieux qu’un langage. Il est bon d’être interdit ; il y a une éloquence de silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire. Qu’un amant persuade bien sa maîtresse quand il est interdit, et que d’ailleurs il a de l’esprit ! Quelque vivacité que l’on ait, il est bon dans certaines rencontres qu’elle s’éteigne. Tout cela se passe sans règle et sans réflexion, et quand l’esprit le fait, il n’y pensait pas auparavant ; c’est par nécessité que cela arrive.

L’on adore souvent ce qui ne croit pas être adoré, et l’on ne laisse pas de lui garder une fidélité inviolable, quoiqu’il n’en sache rien ; mais il faut que l’amour soit bien fin et bien pur.

Nous connaissons l’esprit des hommes, et par conséquent leurs passions, par la comparaison que nous faisons de nous-mêmes avec les autres. Je suis de l’avis de celui qui disait que dans l’amour on oubliait sa fortune, ses parens, ses amis : les grandes amitiés vont jusque là. Ce qui fait que l’on va si loin dans l’amour, c’est que l’on