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premières elle devait les accens amoureux de ses ballades, aux secondes le tour jovial et narquois de ses fabliaux. Durant le XVe siècle, ces deux tendances diverses apparaissent à merveille et se résument isolément dans deux hommes, Charles d’Orléans, le dernier des trouvères pour la galanterie, Villon, le dernier des jongleurs cyniques. Marot, au commencement de l’âge suivant, réunit en lui ces caractères opposés : quelque chose en effet de la sensibilité fraîche du châtelain de Coucy et de Quènes de Béthune, quelque chose de la verve osée et sans vergogne de Rutebeuf s’emmêle dans son talent et s’y fond avec une certaine gentillesse de style qui lui est tout-à-fait propre. Marot est une date importante. Avec lui, la poésie du moyen-âge finit, et jusqu’à Malherbe l’espace sera pris par ce premier essai de renaissance classique qui échouera, mais non sans puissance. C’est l’histoire de cette défaite qu’a voulu surtout retracer M. Sainte-Beuve. Comme le remarquait spirituellement M. Dubois, en annonçant un des premiers le livre qui lui était dédié, il y avait là quelque chose de la passion si tendre d’Augustin Thierry pour les vaincus, pour les races méconnues du moyen-âge. Les vaincus de M. Sainte-Beuve sont un peu, par son livre, redevenus les vainqueurs, les vainqueurs au moins du dédain et de l’oubli. Toute cette fleur de poésie, souvent charmante, aurait-elle donc disparu à jamais, et faudrait-il redire avec Villon :

Mais où sont les neiges d’antan ?

Non, quelque chose en doit demeurer, et c’est dans le Tableau du seizième siècle qu’on retrouvera ce qui se peut sauver de ces brillans reflets, ce qui doit rester de cette première neige de la poésie, trop passagère, sans doute, mais où le rayon du matin se joue çà et là avec grace.

Le malheur de la pléiade est à la fois de s’être enchaînée à la tradition et d’avoir rompu avec elle : je m’explique. Excepté l’Espagne, qui a voulu rester indigène et qui n’a dû qu’à elle-même sa culture originale, comment les différentes littératures de l’Europe moderne ont-elles, après bien des tâtonnemens, été portées tout à coup à leur suprême hauteur, par la main de quelque homme de génie, sous les efforts de quelque école intelligente ? Qui a opéré ce miracle ? Ç’a été le plus souvent la rencontre heureuse du génie traditionnel et du génie indigène. Voilà ce que ne firent point les amis de Ronsard. Le rôle de Dante et de Pétrarque les tentait, mais, en n’en prenant que la moitié, ils échouèrent. Comme eux, l’auteur de la Divine Comédie, comme eux, l’auteur des Rimes, professent le retour à l’antiquité, le culte assidu des maîtres. Avec quel enthousiasme l’Alighieri ne parle-t-il pas de Virgile, avec quelle respectueuse passion Pétrarque ne recueille-t-il pas les manuscrits égarés de la Grèce et de Rome ! Comme eux encore, les fondateurs de la poésie italienne aiment l’idiome national et cherchent à le constituer. Du Bellay, dans son Illustration, n’a pas assurément pour le français plus d’amour que n’en montrait Dante pour cette langue aulique et cardinalesque dont il lui fallait trier habilement les mots dans les vocabulaires locaux des patois.