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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/102

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de pinceau, c’était autant de pris sur les riches ; j’en ai fait si bon usage, que j’ai laissé à peine de quoi me faire enterrer. Maintenant, si vous voulez savoir à qui je dois mon mauvais talent, je vous répondrai que je n’en sais rien ; j’ai aimé Watteau, j’ai aimé Rubens, j’ai aimé Coustou. »

Watteau, Rubens, Coustou, voilà les trois maîtres de Boucher, mais il n’a jamais eu l’esprit étincelant du peintre des Fêtes galantes, ni la touche splendide du grand coloriste flamand, ni la noblesse adorable du sculpteur français. Il faut dire que le marbre ennoblit. À côté de ces trois maîtres, Boucher peut encore se montrer çà et là ; plus d’un homme épris du passé sourira à sa grace coquette, à son imagination follement enjouée, à la vapeur bleuâtre de ses paysages, aux mystères voluptueux de ses bosquets, à ses figures si fraîches, qu’elles semblent nourries de roses, selon l’expression d’un ancien.

Pour bien étudier Boucher, il faudrait visiter les châteaux royaux où il a traduit à grands traits toutes les scènes de la mythologie. Ses plus jolis chefs-d’œuvre licencieux étaient à Trianon ; on en retrouve quelques-uns dans une galerie du boulevard Beaumarchais. Ce sont des panneaux qui se métamorphosent au gré des visiteurs. Si vous êtes un homme, vous verrez les amours de Vénus ; si vous êtes une dame, les panneaux feront un demi-tour, et vous verrez des scènes d’Évangile à la façon de Boucher.

Diderot n’aimait pas Boucher ; Diderot, qui fondait une encyclopédie, qui inventait le drame bourgeois ; qui ouvrait une école de mœurs, ne devait rien comprendre au peintre de Mme de Pompadour et de Mme Dubarry, d’autant plus qu’il se laissait un peu guider dans ses idées sur la peinture par Greuze, ennemi né de Boucher. Voici d’ailleurs comment Diderot juge ce peintre dans tout son franc parler :

« J’ose dire que Boucher n’a pas vu un instant la nature, du moins celle qui est faite pour intéresser mon ame, la vôtre, celle d’un enfant bien né, celle d’une femme qui sent ; entre une infinité de preuves que j’en donnerais, une seule suffira : c’est que, dans la multitude de figures d’hommes et de femmes qu’il a peintes, je défie qu’on en trouve quatre propres au bas-relief, encore moins à la statue. Il y a trop de mines, de petites mines, de manières, d’afféterie, pour un œil sévère. Il a beau me les montrer nues, je vois toujours le rouge, les mouches, les pompons et toutes les fanfioles de la toilette. Croyez-vous qu’il ait jamais eu dans sa tête quelque chose de cette image honnête et charmante de Pétrarque :

E’l riso, e’l canto, e’l parlar dolce, humano ?