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et, dans cette contrée de petite culture, chaque fermier a coutume d’aller lui-même chercher sa pierre et son charbon, et de l’apporter à des fours à chaux établis dans la campagne. Pour éviter l’impôt des barrières, on plaçait ces fours hors du voisinage des routes, et on y arrivait par des chemins de traverse ; mais les concessionnaires des turn-pikes portèrent plainte, et ils obtinrent l’autorisation d’élever des barrières sur ces chemins de traverse. Ce surcroît d’impôt sur les matières premières augmenta considérablement les frais de la culture, et acheva de ruiner les petits fermiers. Les chemins de traverse, comme les grandes routes, furent couverts de barrières ; les fermiers, avec leur misérable charrette, ne pouvaient parcourir la distance de deux milles sans en rencontrer sur leur passage, et, quand ils voulaient les éviter en faisant des détours, ils étaient condamnés à de fortes amendes. Chaque fois qu’il y avait une foire dans quelque village, tous les abords et toutes les issues possibles étaient mis à contribution ; on environnait le village d’un cordon de barrières pour arrêter quiconque voulait éviter les routes, et le fermier, arrivant avec son bétail, ou son cheval, ou sa charrette, rencontrait inévitablement devant lui une ceinture de chaînes tendues. Cet abus avait été porté si loin, que, dans une délibération des magistrats d’une paroisse visitée par Rebecca et ses filles, il a été résolu de supprimer treize barrières sur quinze.

Il ne faut donc point s’étonner que ce soit contre les barrières que la rage et la vengeance des petits fermiers se soient d’abord tournées. C’était un grief de tous les jours, de tous les instans, une exaction poussée aux dernières limites, qui pressurait de tous les côtés le petit cultivateur, et se dressait devant lui presque à chaque pas. J’ai dit que, dans les parties les plus riches du royaume, l’impôt des turn-pikes était facilement supporté. Il faut bien, après tout, qu’il y ait des impôts, et on n’a pas fait un paradoxe en disant que les impôts étaient un signe de la prospérité publique. Si, en Angleterre, on paie les barrières, on n’y paie pas l’octroi ; la forme ne change rien au fond. Si donc le système des turn-pikes rencontre dans le pays de Galles des obstacles qu’il ne rencontre pas dans les autres comtés, c’est d’abord parce qu’il y est plus oppressif que partout ailleurs, et ensuite parce que les fermiers de ce pays sont dans une condition très inférieure à celle des fermiers de l’Angleterre proprement dite, et à peu près sur la même ligne que ceux de l’Irlande.

La multiplicité des fermages et l’excessive concurrence pour la possession de la terre, voilà, monsieur, les principales causes de la misère des fermiers de l’Irlande et du pays de Galles. En Irlande, une grande part de la responsabilité de cet état de choses pèse sur le landlord, parce que, presque toujours absent de ses propriétés et résidant en Angleterre, il n’a aucune relation personnelle et immédiate avec ses fermiers ; il exploite la terre comme une maison : il la loue à des entrepreneurs. C’est ainsi qu’on trouve en Irlande une classe intermédiaire entre le propriétaire et le fermier, une classe régulièrement constituée et connue sous le nom de middlemen. Pour une rente