Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/1043

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1037
REVUE. — CHRONIQUE.

trouvé de nouvelles recrues, et, en étendant le cercle de ses auxiliaires, elle a étendu aussi le cercle de ses griefs et de ses projets de réformes. Après avoir réclamé la suppression des barrières, les révoltés ont demandé l’abolition des taxes d’église (church rates) et de l’impôt fixe qui a remplacé la dîme. Puis, insensiblement, miss Rebecca s’est transformée en miss Walker, et la Bible a fait place à la charte. C’est dès ce moment, comme je vous le disais en commençant, que les rebeccaïtes ont perdu du terrain ; tant qu’ils n’ont voulu réformer qu’un système d’octroi, on les a trouvés assez innocens, on était même porté à les prendre pour des opprimés ; mais quand ils ont voulu se mêler de réformer l’église et la constitution, on a cessé de s’intéresser à leur cause.

Ce qui doit nous paraître, en France, le plus étrange, c’est l’impunité prolongée qui a semblé encourager les exploits des insurgés. Ainsi les rebeccaïtes ont pu tranquillement élever en plein champ, en commémoration de leurs faits et gestes, trois colonnes de plus de vingt-cinq pieds de hauteur, l’une portant le nom de Rebecca, une autre celui de la fille de Rebecca, et la troisième celui de miss Cromwell. Presque chaque jour on peut lire dans le journal le Times le compte rendu régulier de leurs meetings. Le reporter ou correspondant du Times s’est fait en Angleterre une véritable célébrité par la hardiesse, l’activité et l’intelligence qu’il a apportées dans l’exercice de ses fonctions. Un jour, il s’aventura audacieusement au milieu d’une réunion secrète de rebeccaïtes, déclina sa qualité de correspondant d’un journal de Londres, et offrit de se faire l’organe des plaintes de la principauté. Sa proposition fut longuement débattue en dialecte du pays, puis mise aux voix, et enfin acceptée. La réunion se tenait dans une grange, éclairée seulement par une chandelle, de sorte que presque tous les visages restaient dans l’obscurité. Les fermiers, au nombre de plusieurs centaines, étaient soit assis sur des bancs, soit couchés au milieu de la paille. Le président se leva et donna lecture d’un acte d’association qui montre combien ces hommes apportaient de réflexion et de décision dans leurs desseins. Cette association prenait le nom de Union des fermiers, et était formée sur le plan de toutes les assemblées délibérantes. Les principales dispositions de l’acte étaient : qu’il serait nommé, à la majorité des voix, un président, un vice-président, et un secrétaire, qui rempliraient leurs fonctions gratuitement et seraient renouvelés tous les six mois ; que, si un membre de l’union se présentait à une séance en état d’ivresse, il serait expulsé ; qu’il serait interdit, sous peine d’amende, de jurer ou de se servir d’un langage grossier ; qu’une correspondance régulière serait établie avec les unions qui se formeraient sur le même plan ; que nul individu au-dessous de l’âge de dix-huit ans ne serait admis dans l’union.

Après la lecture de cet acte, le président mit aux voix diverses résolutions, entremêlées de maximes telles que celles-ci : Une armée de principes pénètre là où une armée de soldats ne peut pénétrer, — un pouvoir usurpé est toujours faible. — Puis les fermiers réclamaient : l’abolition des taxes d’église,