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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/117

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POETÆ MINORES.

mise, que son père la froisse avec désespoir, et qu’il s’enfuit éperdu hors des salles de la fête. Sans quitter sa parure de bal, l’enfant épouvantée s’élance, poursuit le malheureux, et finit par le joindre sur les quais, au moment où il allait se jeter dans la Seine. Le père avait perdu au jeu sa fortune et la dot de sa fille, qui le remmena et lui rendit le calme en lui promettant de se faire sœur grise. Si cette anecdote commune et usée a été prise dans la réalité, on peut reprocher à l’auteur de n’avoir pas revêtu une combinaison si mélodramatique des couleurs de la poésie, qui a le don de tout aviver, de tout rajeunir ; si, au contraire, ce n’est là qu’une donnée de l’imagination, les objections sont plus légitimes encore, et on est en droit de dire à M. Guiraud que le prosaïsme vulgaire de son invention correspond parfaitement au prosaïsme trivial de son style.

Le second récit se fonde également sur l’amour, mais cette fois sur un amour qui parle, qui parle même très longuement. Donc Albert (n’est-ce pas le poète lui-même, n’est-ce pas Olympio amoureux ?) était dans ses terres natales quand il apprit que la mère d’Aurélie, devenue veuve, venait de se réfugier avec son enfant dans un couvent de Venise, et que la jeune fille voulait se vouer décidément au cloître. L’affection pour celle

Qu’honorait autrefois son plus intime hommage

se ranime alors dans le cœur d’Albert, qui, jaloux de Jésus, craint de se voir enlever par le ciel l’ame qui ferait son bonheur sur la terre. Aussi le poète n’hésite pas : il part, et son cœur de vingt ans essaie de l’emporter sur Dieu. Il offre tout à Aurélie, sa vie, son château,

Et le doux récomfort d’un salon de Paris.

Il y a des argumens irrésistibles : après trois longs mois de combats, qui paraissent encore plus longs dans les vers de M. Guiraud, Dieu fut vaincu, et Aurélie se vit ramenée en France par son fiancé. Mais la santé de la jeune fille s’était perdue dans ces luttes, et bientôt il fallut demander du soleil au climat des Pyrénées. Cependant la mère pleurait près de son enfant malade, et Albert s’efforçait de la distraire par des lectures, par des vers, par des conversations de toute sorte sur l’Angleterre et sur la semaine sainte, sur les étoiles et sur Carthage. De tout cela, M. Guiraud, impitoyable biographe, n’épargne pas une ligne à ses lecteurs. Enfin arrive le dénouement : on est dans un pauvre village de la Catalogne, et Aurélie y languit entre les rideaux soyeux de son appartement. Sentant la mort venir, elle veut