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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/124

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REVUE DES DEUX MONDES.

en rondeaux. Les sonnets de M. Barbier me font l’effet de ces petites médailles de plâtre par lesquelles on représente la série de nos rois : toutes sont du même module, la plupart se ressemblent, et on pourrait le plus souvent changer les noms sans inconvénient. De même, dans les Rimes héroïques, bien des titres seraient transposés sans que le lecteur s’en aperçût. Aucune empreinte n’est nette, aucun trait n’est marqué avec décision ; nulle part l’accent ne jaillit, nulle part le poète ne se révèle par l’éclair d’une idée, par une image étincelante, par une expression trouvée.

Jamais le style de M. Auguste Barbier n’avait été aussi insuffisant, jamais l’auteur n’avait tant accordé à la périphrase vulgaire, aux épithètes parasites, et, pour parler franc, aux chevilles de toute sorte. La période est mal arrêtée dans ses contours ; envahie par l’incise, elle laisse l’idée en proie au despotisme du mot et de la rime. D’un autre côté, la métaphore ne vient plus d’elle-même comme une saillie naturelle de la pensée ; c’est une nécessité poétique dont l’auteur, tant bien que mal, se tire par le métier. Ainsi, ayant à parler d’un guerrier qui s’élance et s’ouvre un chemin à travers les piques ennemies, M. Barbier use de l’assimilation que voici :

… Comme un fort moissonneur que l’on voit dans la plaine
Presser les épis mûrs contre son sein voûté…

Des images si détournées sont la marque évidente de l’épuisement. L’impropriété des termes, par malheur, vient, comme une conséquence funeste s’ajouter à tout cela. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, M. Barbier fait foudroyer les Anglais à Jeanne d’Arc avec les lueurs de sa lance. C’est là du Scarron héroïque. L’ancien auteur des Iambes a gardé de sa première manière l’habitude du mot cynique et de l’expression sans vergogne qui déjà tout à l’heure nous choquait dans le Pianto. Au milieu du style terne, effacé, et en quelque sorte estompé des Rimes héroïques, ces traits appuyés, ces grossiers coups de crayon, blessent encore davantage. M. Barbier a perdu le sentiment de la mesure. Dire les reins de l’océan au lieu des flots, dire la séquelle infame au lieu de la populace, ne prouve absolument que l’absence de goût. C’est le procédé de l’empire retourné : les poètes d’alors employaient l’expression noble, vous employez le mot bas ; ils disaient coursier, vous dites rosse. J’aime encore mieux le pompeux que le trivial.

La donnée de chacun des sonnets de M. Barbier étant banale, aucune pensée ne se détachant sur ce fond uniformément médiocre,