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autres, se reproduit avec une infatigable et monotone régularité : rien cependant ne décourage les poètes, et leur obstination n’a d’égal que l’indifférence de la foule. Si, en face d’un pareil spectacle, la critique a toujours les mêmes déductions à tirer, les mêmes conseils à émettre, a-t-on le droit de s’en prendre à elle ? Ce n’est point elle, c’est l’art qui est tenu à la variété. Devant les mobiles fantaisies de l’imagination, devant les créations du sentiment, la critique représente un élément fixe, immobile ; elle applique toujours de la même manière des lois qui toujours sont les mêmes ; en un mot, elle parle au nom du bon sens. Je sais bien qu’à en juger par les œuvres de beaucoup de poètes, le bon sens est chose variable et accessible aux transformations ; mais le monde n’est pas tout-à-fait de cette opinion.

Nous n’hésitons pas à le répéter, le fatal esprit de vertige qui a frappé plusieurs chefs est descendu en même temps jusque dans les régions inférieures de la poésie. Partout aux sages lenteurs d’un travail sobre s’est substituée la stérile abondance d’une improvisation hâtive. En s’habituant à donner la poésie comme une révélation d’en haut, on s’est répété que les révélations étaient spontanées, subites, et chacun sait si la remarque a été mise à profit. Dieu pourtant ne s’est reposé que le septième jour : dans leurs assimilations ambitieuses, les poètes s’en devraient souvenir. Aujourd’hui, la dissolution absolue des groupes littéraires isole chacun dans son talent ou dans son orgueil : nulle part on n’est maintenu ou corrigé par les avertissemens d’alentour. De là ces étranges éruptions de vanités solitaires, de là cette persistante accumulation d’œuvres où l’absence d’originalité ne se trahit que mieux par la prétention. Ce n’est pas que nous voulions faire de l’art une aristocratie exclusive et réserver ses faveurs à quelques privilégiés ; il faudrait être bien ignorant ou bien aveugle pour ne pas reconnaître, au contraire, qu’il y a quelque chose de contagieux dans le génie, qu’on est nombreux dans les grandes époques, et que les talens enfin, au lieu de se faire ombrage, s’illuminent les uns les autres. Or s’il est incontestable, comme il nous paraît, que le lyrisme de notre âge tiendra une place notable dans l’histoire littéraire, il semblerait qu’à côté de ses représentans les plus glorieux, la poésie contemporaine devrait pouvoir compter aussi bien des adeptes moins illustres, bien des disciples fervens et heureux. Pour cela, il eût fallu chez ceux qui ne marchaient pas les premiers une certaine discipline, un certain sentiment des forces qui leur étaient départies ; il eût fallu, de la part des jeunes généra-