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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

exact, les dispositions des affranchis anglais étaient encore moins favorables à coup sûr que celles de nos esclaves. C’est encore à tort qu’on cite l’affreuse anarchie de la république haïtienne pour prouver que les nègres sont incapables de s’élever à l’état social. La dernière dictature que l’indignation publique vient de renverser n’a été, assure-t-on[1], qu’un despotisme cruel et monstrueusement égoïste, qui a spéculé sur l’abrutissement de la race noire. Il ne faut pas oublier que les passions de l’esclavage et les fureurs de la guerre civile ont composé jusqu’ici la seule éducation des Haïtiens, que ce peuple né d’hier et dans des circonstances inouïes n’a pas encore rencontré un de ces hommes supérieurs dont la main est nécessaire pour donner l’impulsion à une société. Attendons à l’œuvre ceux qui vont diriger la république haïtienne : ils ont pris sur eux une lourde responsabilité ; s’ils sont à la hauteur de leur mission, la sympathie de l’Europe les soutiendra.

Si nous ne nous abusons pas, il résulte des faits que nous venons d’accumuler que la race africaine n’est pas incapable d’être civilisée. L’affranchissement de nos esclaves est donc possible ; s’il est possible, c’est un devoir. Il y a toutefois des difficultés à l’accomplissement de cette grande mesure ; nous allons les découvrir, en étudiant l’organisation industrielle de nos colonies.

III. — SITUATION ÉCONOMIQUE DES COLONIES.

Dans l’opinion des hommes d’état qui fondèrent le système colonial des temps modernes, une colonie devait être avant tout un marché privilégié ouvert à l’industrie métropolitaine. Entre les entrepreneurs de colonisation et le pays auquel ils appartenaient, avait lieu un pacte fondé sur un double monopole : d’une part, les colons prenaient l’engagement de demander tous les objets de leur consommation à leur patrie européenne, et d’autre part la métropole s’engageait à ne tirer que de ses propres colonies les denrées que refuse le climat de l’Europe. Colbert exagéra ces principes à l’égard des établissemens français. À lire les règlemens qui interdisent tous rapports commerciaux avec les étrangers, on croirait qu’il s’agit d’une ville en état de blocus : confiscation des vaisseaux étrangers surpris en flagrant délit de commerce ; à ceux qui achèteraient des marchandises prohibées, une forte amende, et pour la récidive trois ans de galères ! Défense est faite aux planteurs d’entreprendre les cultures françaises, et même celles qui répondent aux nécessités premières, comme le vin et les céréales. De toutes les charges qui pesaient sur les transactions, la plus onéreuse, à coup sûr, était cette obligation d’acheter fort cher des rebuts de magasin, de marchandises de fabrication

  1. Telle est l’opinion de M. Schœlcher, qui a consacré presque tout son second volume sur les Colonies étrangères à l’histoire d’Haïti. Les renseignemens curieux rassemblés dans cette œuvre de circonstance font regretter que l’auteur n’en ait pas plus soigné la composition littéraire.