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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

devant Pristina, dans la plaine de Kossovo, l’une au lieu où tomba Miloch Obilitj, après avoir tué de sa main le sultan Amurat, conquérant de sa patrie ; l’autre à Gazimestan, où fut enseveli le sultan vainqueur, à peu de distance de son héroïque meurtrier. Ces trois monumens en disent assez aux Slaves musulmans et chrétiens sur le besoin de vivre unis. Une circonstance heureuse contraindra d’ailleurs les musulmans slaves, sinon à l’union, du moins à la paix. Privés désormais de communications directes avec Stambol et le peuple turc, ils se trouvent entièrement à la merci des Slaves chrétiens, et vivent bloqués dans leurs vallées entre le Monténégro et la Bulgarie comme entre deux camps ennemis.

Cette vaste Bulgarie est à la vérité jusqu’à présent peu menaçante pour ses maîtres ; mais de tous côtés l’influence des Serbes libres la remue et la pénètre. Appelé sans doute à jouer un rôle moins brillant que les Serbes, parce qu’il n’est pas, comme eux, né pour la lutte, le Bulgare offre dans son caractère moral, comme dans la configuration géographique de son pays, l’unité qui manque à ses voisins. Les cinq provinces dont se compose la Bulgarie sont agglomérées en un vaste carré, tandis que celles du peuple serbe, scindées jadis en plusieurs royaumes, dessinent partout, depuis le Danube jusqu’à l’Épire, des angles aigus ou rentrans. On ne peut établir aucun parallèle pour la culture et la fertilité entre les campagnes serbes et les campagnes bulgares. Le Serbe est trop nonchalant pour attacher un grand prix à la richesse agricole ; il est pâtre et guerrier, ses troupeaux et la liberté soutenue par l’épée lui suffisent. Il n’en est pas de même du Bulgare. Aussi se distingue-t-il des autres Slaves par l’étendue, l’activité et l’importance commerciale de ses villes, dont plusieurs ont de trente à cinquante mille ames. Son ancienne capitale, la majestueuse Sofia, est environnée de balkans ; la plus élevée de ces cimes, le Rilo, mont sacré de la liberté bulgare, sanctuaire des moines et refuge des haïdouks, laisse voir de loin à la ville esclave ses plateaux neigeux et inviolables, comme pour l’exciter à briser ses fers. De là jusqu’à la mer Noire, on ne traverse que des défilés pleins de périls, où la bonhomie du Bulgare laisse le Turc circuler en toute sécurité. À cette frontière est placée Varna, chef-lieu de la province maritime du Dobroudja, et le principal port de la Bulgarie, mais qui, pillée et incendiée par les Russes en 1829, se trouve depuis lors presque abandonnée des apathiques Ottomans. Varna a cependant une citadelle admirablement située, et sa vaste rade est si sûre, que les arrivages s’y font toute l’année, même en hiver, sans aucun obstacle.