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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Les Turcs montrent le même mépris du droit naturel vis-à-vis des assemblées provinciales, où toutes les communes du district sont invitées à envoyer leurs députés pour délibérer sur les intérêts communs, sur les routes et les ponts à construire, sur la répartition de l’impôt et des travaux publics de la province. Là encore le président et les secrétaires sont des délégués du pacha, qui forcent par la crainte les staréchines à voter dans l’intérêt exclusif des Turcs, et légalisent ainsi les mesures les plus vexatoires ; ce qui réduit la prétendue égalité entre Turcs et chrétiens à une nouvelle forme d’esclavage des raïas, plus ironique et plus insultante que la première. Les Bulgares ont perdu en réalité leurs diètes provinciales aussi bien que leurs conseils communaux, et cependant ces institutions, depuis le hatti-chérif, ont légalement le droit d’exister. C’est aux Bulgares d’en obtenir le rétablissement par l’énergie de leurs réclamations, et de faire substituer dans leurs villages aux kiaias turcs des staréchines de leur sang et de leur choix. Cette réorganisation municipale n’altère en rien les droits du sultan. Il ne s’agit point d’élever les Bulgares sur la même ligne de liberté que les Serbes : ce serait folie d’y songer ; mais on peut demander aux Turcs, au nom de leur propre grandeur, d’accorder aux raïas une existence tolérable, qui fasse cesser les continuelles révoltes des Slaves de Bulgarie, d’Albanie et de Bosnie, un système qui éteigne la guerre en séparant les combattans.

Cette organisation pacificatrice assure aux communes le droit de percevoir par leurs propres délégués les impôts qu’elles ont à payer. Tant que les percepteurs arméniens pourront s’installer dans les villages, aucune propriété privée ne sera garantie, et le commerce sera par là même impossible. La raison qui empêche le Bulgare d’accepter nos produits pour prix de ses denrées, c’est l’incertitude de la possession : il peut enfouir de l’argent, mais il ne peut cacher avec la même facilité des objets de luxe ou d’usage domestique, qui n’ont de valeur qu’autant qu’on s’en sert en famille. Cette crainte continuelle de l’avanie vient de la présence des intendans arméniens et des juges turcs dans les villages. Si une fois les communes bulgares s’administraient elles-mêmes, percevaient et livraient leurs impôts sans intervention d’agens fiscaux musulmans, la sécurité appellerait les arts et le luxe.

Il importe d’ailleurs de diriger l’instinct qui porte les Bulgares à se répandre hors de leur territoire, et le commerce seul peut atteindre ce but en organisant des intérêts d’émigration plus grands sur un