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en plaçant sous leur influence le développement moral et industriel des Bulgares ?

Il est inconcevable que la diplomatie européenne, qui prétend s’efforcer en Perse, en Chine, en Amérique, de créer des digues contre la Russie, ne voie pas l’avantage immense qu’elle pourrait tirer de l’état actuel des Slaves du Danube. Malheureusement c’est de concert avec l’Autriche que les cabinets d’Angleterre et de France surveillent et jugent les questions slaves. Or, l’Autriche ne peut voir sans jalousie les Bulgaro-Serbes se rapprocher des Turcs, mouvement qui ne tend à rien moins qu’à restituer aux Orientaux la meilleure moitié du Danube. On attendra vainement de cette puissance qu’elle change son système d’étouffement sur le Danube et favorise les Bulgaro-Serbes, car il s’agit pour elle de conserver le fleuve qui nourrit Vienne et de maintenir sous le joug ses provinces slaves, sur lesquelles la liberté des Bulgaro-Serbes exercerait une influence contagieuse. L’Autriche, en outre, a peu de fabriques, et le littoral hongrois du Danube est déjà plus que suffisant pour fournir les produits bruts mis en œuvre par l’industrie autrichienne ; ainsi, les matières premières des pays bulgaro-serbes ne lui sont qu’une surcharge qu’elle achète au rabais et presque à titre d’aumône. Toutefois, comme la possession morale du Danube est pour elle une question d’existence politique dans la situation contre nature que lui a faite le congrès de Vienne, elle est forcée, même sans pouvoir les faire vivre, de peser de tout son poids sur les peuples danubiens. Une telle confiscation de toutes les ressources d’un pays au profit d’une puissance qui ne les exploite pas est un acte inhumain, et la presse française devrait le flétrir, au lieu de l’encourager, ainsi qu’elle le fait tous les jours dans le vain espoir d’obtenir les limites du Rhin, en poussant l’Allemagne vers l’Orient, comme si le moyen d’affaiblir son ennemi sur un point était de le renforcer sur un autre.

Quant à l’Angleterre, elle n’a, il est vrai, d’intérêt opposé aux peuples de la péninsule orientale qu’à cause de son marché de Corfou. Son hostilité s’est donc tournée jusqu’à présent contre les Grecs, sans s’inquiéter beaucoup des Slaves, qui ne touchent que très indirectement, par leurs colonies albanaises, aux comptoirs britanniques. La France seule, en prenant une attitude plus décidée vis-à-vis de l’Orient, pourrait entraîner l’Angleterre dans une voie plus libérale ; mais tant que la France s’obstinera dans son inaction, l’Angleterre, qui veut et qui doit agir, sera poussée vers la Russie. Elle cherchera à s’entendre avec le tsar pour le partage définitif du monde, et on