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JOSEPH DE MAISTRE.

France et à Paris, à cette Athènes absente qu’il saluait si gracieusement au début ; mais il la peindra tout à l’heure moins anacréontique et un peu moins couleur de rose. La lune de miel ne dura pas.

Le second opuscule qui se rapporte à ces années est un discours (resté manuscrit) que M. de Maistre prononça, en 1777, devant le sénat de Savoie, à l’une de ces rentrées solennelles où le jeune substitut avait la parole au nom du ministère public ; d’après les extraits qu’on veut bien m’en transmettre, je n’y puis voir qu’une amplification de parquet sur les devoirs du magistrat. Si l’on cherchait à y surprendre les premières impressions, les premières émotions de l’homme public et de l’écrivain, on devrait y reconnaître surtout l’influence de Rousseau. Les locutions familières au philosophe de Genève, l’Être des êtres, l’Être suprême et surtout la vertu, y sont prodiguées ; le mot de préjugés résonne souvent. Certains souvenirs des républiques grecques y figurent et trahissent à la fois l’inexpérience et la générosité du jeune homme. Je ne donnerai ici qu’un passage décisif en ce qu’il prouve que l’auteur, à ce moment, n’était point encore du tout revenu des idées généralement courantes sur le pacte ou contrat social :

« Sans doute, messieurs, tous les hommes ont des devoirs à remplir ; mais que ces devoirs sont différens par leur importance et leur étendue ! Représentez-vous la naissance de la société ; voyez ces hommes, las du pouvoir de tout faire, réunis en foule autour des autels sacrés de la patrie qui vient de naître, tous abdiquent volontairement une partie de leur liberté : tous consentent à faire courber les volontés particulières sous le sceptre de la volonté générale ; la hiérarchie sociale va se former ; chaque place impose des devoirs ; mais ne vous semble-t-il pas, messieurs, qu’on demande davantage à ceux qui doivent influer plus particulièrement sur le sort de leurs semblables, qu’on exige d’eux un serment particulier, et qu’on ne leur confie qu’en tremblant le pouvoir de faire de grands maux ?

« Voyez le ministre des autels qui s’avance le premier : « Je connais, dit-il, toute l’autorité que mon caractère va me donner sur les peuples ; mais vous ne gémirez point de m’en avoir revêtu. Ministre de paix, de clémence et de charité, la douceur respirera sur mon front ; toutes les vertus paisibles seront dans mon cœur ; chargé de réconcilier le ciel et la terre, jamais je n’avilirai ces fonctions. Auguste interprète de Dieu parmi vous, on ne se défiera point des oracles qu’il rendra par ma bouche, car je ne le ferai jamais parler pour mes intérêts. »

Il est évident qu’il y a, dans ce portrait du ministre de paix, comme