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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/329

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JOSEPH DE MAISTRE.

de la part de l’autorité supérieure à Turin, une vive réprimande. Peu de temps après, lorsque la Savoie fut envahie, il trouva piquant de se disculper, au moyen de cette lettre ministérielle, du reproche de servilisme que lui lançait quelque partisan de la nouvelle république, quelque fougueux Allobroge de fraîche date.

L’abbé Raynal étant venu à Aix en Savoie, M. de Maistre, fort jeune encore, alla le voir avec quelques amis ; mais une première visite suffit à la connaissance : l’absence de dignité dans l’homme le détrompa vite (s’il en était besoin) des déclamations philanthropiques de l’historien.

Du reste aucun évènement proprement dit, ayant trait à la vie extérieure de M. de Maistre en ces années, n’a laissé de souvenir ; sa situation était plus que jamais assise, un mariage vertueux avait achevé de la fixer ; il aurait pu consumer, enfouir ainsi dans l’étude, dans la méditation, dans ces sortes d’extraits volumineux qu’on fait pour soi-même et auxquels manque toujours la dernière main, cette foule de pensées et de trésors dont on n’aurait jamais démêlé le titre ni le poids ; il aurait pu, en un mot, ne jamais devenir le grand écrivain que nous savons, quand la révolution française éclata et vint dégager en lui le talent, en frapper l’effigie, y mettre le casque et le glaive.

L’armée française, sous les ordres de Montesquiou, envahit la Savoie le 22 septembre 1792. Fidèle à son prince, le sénateur de Maistre partit de Chambéry le lendemain 23 ; désirant néanmoins juger par lui-même de l’ordre nouveau et profitant d’un décret de sommation adressé aux émigrés, il revint au mois de janvier 93 : c’est durant ce séjour hasardeux qu’il eut sans doute à faire usage, pour sa justification, de la lettre ministérielle dont on a parlé. Suffisamment édifié sur le régime de liberté, il quitta de nouveau la Savoie en avril, et se retira à Lausanne, comme dans un vis-à-vis et sur un observatoire commode. Il passa dans cette ville, de tout temps si éclairée et si ornée alors d’étrangers de distinction, trois années entières, et ne rentra en Piémont qu’au commencement de 97. Le roi Victor-Amédée lui donna pour mission à Lausanne de correspondre avec le bureau des affaires étrangères et de transmettre ses observations sur la marche des évènemens en France et à l’entour. Les dépêches de M. de Maistre étaient soigneusement recueillies par les ministres étrangers résidant à Turin, et devenaient de la sorte un document européen. Bonaparte, nous apprend M. Ray-