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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/333

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JOSEPH DE MAISTRE.

Sur la justice, il y a d’assez belles choses, rien qui sente le peintre futur du bourreau. Il rappelle toutefois que, lorsqu’on parlait des prisonniers d’état renfermés à Miolans, unique prison de ce genre en Savoie, on était plutôt tenté de s’en prendre au trop de clémence du prince, que trop souvent les prisons d’état autorisaient les erreurs de cette clémence, qu’elles dérobaient celui qui était plutôt dû au gibet ou aux galères, « et faisaient oublier cette maxime d’un homme célèbre, la plus belle chose peut-être que les hommes aient jamais dite : La justice est la bienfaisance des rois. » — Plus loin, à propos des prisons de Chambéry, il se plaît à faire ressortir le témoignage favorable de l’envoyé du ciel, Howard. Ainsi, sur cette théorie de la rigueur, il n’a pas encore de parti pris.

Il appelle de tous ses vœux, en finissant, la restauration de Victor-Amé et s’élève avec passion, avec ironie déjà, contre les ambitieux voisins qui tant de fois, et au commencement du XVIIe siècle et depuis lors, ont troublé cet heureux pays : « Rejetez loin de vous ces théories absurdes qu’on vous envoie de France comme des vérités éternelles et qui ne sont que les rêves funestes d’une vanité immorale. Quoi ! tous les hommes sont faits pour le même gouvernement, et ce gouvernement est la démocratie pure ! Quoi ! la royauté est une tyrannie ! Quoi ! tous les politiques se sont trompés depuis Aristote jusqu’à Montesquieu !… Non, ce n’est point sur la terre la moins fertile en découvertes qu’on a vu ce que l’univers n’avait jamais su voir ; ce n’est point de la fange du manége que la Providence a fait germer des vérités inconnues à tous les siècles :

......Sterilesne elegit arenas
Ut caneret paucis, mersitque hoc pulvere verum ?
[1] »

Et suit un éloge de la monarchie en une de ces images qui vont devenir familières à l’écrivain et qui saisissent la pensée comme les yeux : « La monarchie est réellement, s’il est permis de s’exprimer ainsi, une aristocratie tournante qui élève successivement toutes les familles de l’état ; tous les honneurs, tous les emplois sont placés au bout d’une espèce de lice où tout le monde a droit de courir ; c’est assez pour que personne n’ait droit de se plaindre. Le Roi est le juge des courses. » — Que vous en semble ? À voir s’ouvrir cette lice grandiose et presque olympique dont Montesquieu eût

  1. Lucain, livre IX. C’est Caton qui dit admirablement cela de l’oracle d’Ammon au milieu des sables.