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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/366

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REVUE DES DEUX MONDES.

est présumé que le donateur, s’il était en vie, disposerait autrement de sa propriété.

Je n’ai pas à discuter ici un principe qui fait partie du droit public français ; je veux seulement faire remarquer que l’église d’Angleterre a moins qu’aucune autre le droit de se prévaloir de l’inviolabilité des biens ecclésiastiques, car les biens dont elle jouit elle-même étaient, dans l’origine, ceux de l’église catholique, et ont été transférés à l’église protestante par les bénéfices de la loi, précisément en vertu du principe que l’état peut disposer des biens des communautés.

Du reste, monsieur, en admettant que le parlement anglais consente à affecter une certaine portion des revenus de l’église protestante d’Irlande à l’éducation du peuple sans acception de religions, cette mesure ne pourrait encore avoir qu’un effet temporaire. Il faut bien le redire, rien ne sera définitivement réglé en Irlande tant que l’Angleterre y maintiendra une église privilégiée, et tant que cette église sera celle de la minorité. Les catholiques ne demandent pas la suprématie pour leur culte ; ils ne demandent que l’égalité, et il faudra bien qu’on en vienne là. Tôt ou tard, on aboutira au système établi en France, à l’égalité de tous les cultes reconnus par l’état. Les biens de l’église d’Irlande seront repris par l’état, et rentreront dans le trésor public comme la propriété de la nation. L’état, à son tour, devra se charger de subvenir à l’instruction religieuse du peuple et à l’entretien des ministres des différens cultes ; mais alors les fonds affectés à cet usage seront répartis dans de justes proportions. Remarquez bien que je ne parle ici que de l’Irlande, car, quant à l’Angleterre, il se passera encore bien des années avant que la constitution de l’église établie y subisse une pareille révolution. En Angleterre, l’église protestante est dans une situation régulière, politiquement parlant ; elle est l’église de la majorité, tandis qu’en Irlande sa position est le plus odieux paradoxe qui ait jamais existé. Au fond de toutes les agitations de l’Irlande, il y a deux causes, les relations des propriétaires avec les tenanciers, et la suprématie de l’église protestante. La première cause échappe à l’influence de la législation ; il est à peu près impossible que la loi s’en mêle sans porter atteinte au principe de la propriété : c’est donc une question morale plutôt que politique. Pour ce qui regarde l’autre grief de l’Irlande, l’église, la législature a le pouvoir d’y remédier. Qu’elle use donc de ce pouvoir pendant qu’il en est temps encore, car, tant que cette source éternelle de révolte ne sera pas tarie, l’Irlande pourra être domptée, étouffée, écrasée, comme elle le serait sans aucun doute en cas d’insurrection ouverte, mais elle ne sera jamais pacifiée.

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V. de Mars.