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reuse par ses éloquentes et si sages Considérations, laissait échapper alors ses réflexions, ou plutôt ses émotions sur les choses présentes, dans son livre de l’Influence des Passions sur le Bonheur ; mais ce titre purement sentimental couvrait une foule de pensées vives et profondes, qui, même en politique, pénétraient bien avant.

M. de Maistre, enfin, dont nous avons surpris les vrais débuts antérieurs, éclatait pour la première fois par un écrit étonnant, que les années n’ont fait, à beaucoup d’égards, que confirmer dans sa prophétique hardiesse, et qui demeure la pierre angulaire de tout ce qu’il a tenté d’édifier depuis. Dès le premier mot, il indique le point de vue où il se place : comme Montesquieu, il commence par l’énoncé des rapports les plus élevés, mais c’est en les éclairant de la Providence : « Nous sommes tous attachés au trône de l’Être suprême par une chaîne souple, qui nous retient sans nous asservir. » Ce sont les voies de la Providence dans la révolution française que l’auteur se propose de sonder par ses conjectures et de dévoiler autant qu’il est permis. L’originalité de la tentative se marque d’elle-même. Le XVIIIe siècle ne nous a pas accoutumés à ces regards d’en haut, perdus en France depuis Bossuet. Pour être juste toutefois, il convient de rappeler qu’un homme que M. de Maistre a beaucoup lu tout en s’en moquant un peu, le Philosophe inconnu, Saint-Martin publiait, à la date de l’an III (1795), sa Lettre à un Ami, ou Considérations politiques, philosophiques et religieuses sur la Révolution française, curieux opuscule dans lequel le point de vue providentiel est formellement posé[1]. Que M. de Maistre ait lu cette lettre

  1. Et pour que l’on comprenne mieux dans quel sens analogue à celui de M. de Maistre, voici ce qu’après un préambule sur ses principes spiritualistes et sur la liberté morale, Saint-Martin disait à son ami : « Supposant donc… toutes ces bases établies et toutes ces vérités reconnues entre nous deux, je reviens, après cette légère excursion, me réunir à toi, te parler comme à un croyant, te faire, dans ton langage, ma profession de foi sur la révolution française, et t’exposer pourquoi je pense que la Providence s’en mêle, soit directement, soit indirectement, et par conséquent pourquoi je ne doute pas que cette révolution n’atteigne à son terme, puisqu’il ne convient pas que la Providence soit déçue et qu’elle recule.

    « En considérant la révolution française dès son origine, et au moment où a commencé son explosion, je ne trouve rien à quoi je puisse mieux la comparer qu’à une image abrégée du jugement dernier, où les trompettes expriment les sons imposans qu’une voix supérieure leur fait prononcer, où toutes les puissances de la terre et des cieux sont ébranlées, et où les justes et les méchans reçoivent dans un instant leur récompense ; car, indépendamment des crises par lesquelles la nature physique sembla prophétiser d’avance cette révolution, n’avons-nous pas vu, lorsqu’elle a éclaté, toutes les grandeurs et tous les ordres de l’état fuir rapi-