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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

gérant leurs inconvéniens, ne se donnant guère la peine d’apprécier leurs avantages, et, s’il ne les proscrit pas tout d’abord, et les étouffe du moins sous le poids des garanties qu’il leur impose. Tel a été le sort de ces admirables institutions de banques, merveilles commerciales des temps modernes ; tel est encore celui des sociétés anonymes. Combien d’autres innovations qui partagent le même sort, soit dans l’ordre matériel, soit dans l’ordre moral ! C’est qu’en effet il est dans la nature des pouvoirs politiques de résister aux progrès que le cours des temps amène : un peu plus, un peu moins, selon que la société qui les entoure agit plus ou moins fortement sur eux, ils se montrent imbus de l’esprit stationnaire ou rétrograde, toujours moins prompts à seconder les espérances de l’avenir qu’à s’attacher aux ombres du passé. Aussi tout ce qu’on peut attendre d’un gouvernement, c’est qu’après avoir assuré l’ordre et la justice, après avoir protégé les droits et garanti la sécurité de tous, service immense et le seul peut-être qu’un gouvernement soit appelé à rendre, il observe le mouvement de la société en le réglant ; qu’il accepte les progrès à mesure qu’ils s’accomplissent, et qu’il s’efforce d’y conformer les lois.

C’est cette antipathie naturelle du pouvoir pour l’innovation et le progrès qui est la principale cause de la rigueur dont il s’est armé contre les sociétés anonymes. La nouveauté de l’institution, tel a été son tort principal, pour ne pas dire unique. Nous allons voir, en effet, que les raisons que l’on invoquait autrefois, et celles que l’on allègue encore aujourd’hui, pour justifier leur asservissement, ne soutiennent pas l’examen.

La société anonyme, disaient les auteurs du code, pouvait donner lieu à beaucoup de fraudes dans l’émission des actions, c’est-à-dire apparemment qu’on aurait pu, dans certains cas, émettre sous ce titre d’actions des valeurs mal assurées ou qui n’auraient pas eu une origine sérieuse. Rien de plus juste. Mais quel est donc l’établissement commercial sur lequel il n’y ait pas les mêmes craintes à concevoir ? Quel est celui dans lequel on ne trouvera pas les mêmes facilités pour émettre des valeurs suspectes, soit actions, soit toutes autres ? En y regardant de près, on verra même que l’abus est bien plus facile à prévenir ou à réprimer dans une société vaste, dont les actes sont plus aisément connus, que dans les établissemens particuliers, qui échappent par leur exiguïté aux regards du public, et dont les opérations, toujours enveloppées de ténèbres, se dérobent même à l’action de la loi. Les billets, par exemple, que des commerçans émettent, soit contre des marchandises, soit contre de l’argent, ne peuvent-ils pas être aussi des valeurs suspectes ? Est-ce à dire qu’il faille interdire aux particuliers l’usage du crédit ?

Mais, dira-t-on, les commerçans particuliers sont responsables sur leurs personnes de la valeur des effets qu’ils émettent, et les directeurs comme les actionnaires des sociétés anonymes échappent à toute responsabilité. C’est une erreur, car, si les directeurs ne sont pas responsables des dettes loyalement contractées au nom de la société, ils le sont très sérieusement de la sincérité de leurs actes dans l’émission des actions. À cet égard, la responsa-