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commercial, de quelque manière qu’il soit constitué, par quelques mains qu’il soit conduit, ne représente jamais au regard des tiers qu’un certain capital. À cet égard, entre les établissemens formés par des sociétés anonymes et tous les autres, l’analogie est parfaite. Cependant ce capital peut être, selon les cas, placé dans des conditions fort différentes au regard des tiers : il est plus ou moins connu d’eux par avance, plus ou moins facile à atteindre et à saisir. Eh bien ! à considérer les choses sans prévention, ces différences sont toutes à l’avantage de la société anonyme.

S’il s’agit d’un simple commerçant, et que le capital qu’il gère ne soit autre chose que sa fortune privée, il ne sera donné à personne d’en connaître tous les élémens ni d’en mesurer l’étendue, car un simple commerçant n’est jamais obligé, si ce n’est dans le cas de faillite, de rendre compte de l’état de sa fortune ; tout ce que la loi exige de lui, c’est qu’il tienne note de ses opérations journalières. Du reste, comme il gère lui-même son capital, il demeure toujours maître d’en dissimuler l’étendue, sans qu’il se trouve personne en mesure de le trahir. Au contraire, le capital des sociétés anonymes est annoncé d’avance au public, et le montant relevé sur les registres. Il n’arrive pas toujours, il est vrai, que le capital nominal soit entièrement réalisé ; mais alors même le nombre des actions émises est connu, enregistré, et d’ordinaire publié. S’il arrivait que les directeurs voulussent le cacher au public, il faudrait toujours qu’ils en tinssent note, et leur secret s’échapperait par toutes les voies. Ainsi, les tiers qui traitent avec un commerçant particulier ne savent presque jamais que par des appréciations vagues et fort incertaines à quelle somme de capital ils ont affaire ; au contraire, s’ils s’adressent à une société anonyme, pourvu qu’ils se donnent la peine de s’informer, ils traiteront presque à coup sûr. Rien de plus facile, en outre, pour un particulier, que de dissimuler l’étendue de ses dettes. Nul ne les connaît bien que lui seul ; ses commis même les ignorent, car les emprunts qu’il est en position de faire ne rentrent pas tous dans la classe des opérations dont il est obligé de tenir note sur son journal. C’est un secret que lui seul possède, qui ne transpire que rarement et toujours lentement dans le public, qu’il ne partage pas même avec ses créanciers, la plupart étrangers les uns aux autres, et qui ne se dévoile enfin que lorsque le moment de la catastrophe est arrivé. Au contraire, une société anonyme ne peut guère ni devoir ni emprunter sans que tout le monde le sache, les directeurs, les commis, les actionnaires et le public. Ses opérations financières participent, à certains égards, de la nature de celles des gouvernemens ; la lumière du jour les pénètre de toutes parts.

Ainsi, capital et dettes, actif et passif, tout est fixé, constaté, connu, dans le cas de la société anonyme ; tout est incertain, obscur, ignoré dans le cas d’un établissement particulier. Lequel des deux se présente aux tiers avec des conditions plus favorables et des garanties plus sûres ?

À la faveur de cette obscurité qui plane sur sa situation et qu’il a soin d’entretenir, le commerçant privé sera parvenu, tant que son établissement