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Le vieillard s’adossa contre la cheminée ; dans cette attitude, il dominait sa femme et la tenait sous le feu de ses petits yeux perçans. On eût dit un épervier en chasse, mais il eût été moins exact de comparer la marquise à une colombe.

— J’ai vingt ans de plus que vous, dit-il d’un ton calme qui devait coûter un violent effort à sa fougue naturelle ; sans doute j’aurais dû faire cette réflexion avant de me marier, mais je vous aimais, et, quand on est amoureux, on ne réfléchit guère. J’ai donc eu dès le commencement le tort d’être vieux. Vous conviendrez, en revanche, que je n’y ai jamais joint celui d’être jaloux. Une confiance illimitée, telle a toujours été la règle de ma conduite, et cependant un peu d’inquiétude m’eût été permise, car vous étiez coquette.

— Coquette ! interrompit la marquise avec un sourire forcé ; voilà une expression…

— Ce n’est pas un reproche. Jeune, belle, aimable, et mariée avec un homme beaucoup plus âgé que vous, le moyen de ne pas montrer un peu de coquetterie ! Plaire, en soi, n’a rien de blâmable, et vous vous en acquittiez si bien, qu’il m’eût paru cruel de mettre obstacle à vos triomphes.

— Chacun sait que vous êtes un mari parfait, dit Mme de Pontailly, blessée de l’accent caustique du marquis.

— Personne n’est parfait, madame, reprit le vieillard d’un ton bref ; je ne partage pas, il est vrai, le travers d’un grand nombre de mes confrères, mais, si je croyais avoir un sujet réel de jalousie, vous me trouveriez, je vous en préviens, fort peu débonnaire.

M. de Pontailly accompagna ces paroles d’un froncement de sourcils qui donna à sa physionomie une expression si formidable, que la marquise, dont la conscience n’était pas tout-à-fait exempte de reproche, ne put se défendre d’une secrète émotion.

— Puisque j’en suis à convenir de mes faiblesses, continua le vieil émigré, je vous avouerai que, sans condamner votre goût pour les plaisirs du monde, j’aurais désiré quelquefois vous y voir apporter un peu plus de modération. Mais je comptais sur l’âge pour amortir cette exubérante coquetterie, et cet espoir me faisait prendre patience : mon attente n’a pas été tout-à-fait trompée. Depuis six ans, il s’est introduit dans vos habitudes une modification, je puis même dire une réforme, qui m’a prouvé que je n’avais pas trop présumé de votre raison et de votre esprit. Vous avez compris avec un sens parfait que, passé quarante ans, il était plus convenable de butiner comme l’abeille, que de voltiger comme le papillon, et, laissant les