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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/462

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REVUE DES DEUX MONDES.

entra successivement chez un bijoutier et chez un graveur, prit ensuite une voiture et se fit conduire chez Mme de Pontailly.

Quoiqu’il fût trois heures, la marquise n’était pas sortie. Cette circonstance frappa Moréal, qui, se voyant admis sans obstacle comme il l’avait été la veille, se permit de penser que peut-être il était attendu. Le vicomte ne se trompait pas. Abusée par l’émotion qu’elle avait cru lire dans les traits du poète, Mme de Pontailly s’était dit : il reviendra ; et, par une condescendance à laquelle avait peut-être contribué la rude mercuriale de son mari, elle était restée chez elle. En entrant, Moréal composa sa physionomie avec un art qui eût fait honneur au plus habile comédien. À le voir s’approcher d’un air souriant, mais troublé, personne n’eût deviné que c’était là une émotion factice. La marquise y fut trompée, et elle ne put se défendre d’une douce satisfaction lorsqu’elle remarqua le maintien du poète, qui, en s’avançant vers elle, paraissait obéir en dépit de lui-même à une attraction irrésistible.

— Si l’on en croit M. de Pontailly, pensa-t-elle, je ne suis plus capable de plaire. Quel nom alors faut-il donner à l’impression que je cause en ce moment ?

En retour de sa pantomime sentimentale, Moréal reçut un accueil qui eût redoublé l’émotion d’un amant véritable.

— Encore vous ! dit la marquise avec un sourire qui semblait faire de ce reproche un aveu.

— Je dois vous paraître bien importun, madame, répondit d’un ton timide Moréal ; j’ai hésité long-temps, mais j’éprouvais un tel besoin de vous voir, qu’au risque de blesser les convenances, je suis venu.

— Qu’avez-vous donc ?

— Depuis hier, je ne sais ce que j’éprouve. Les encouragemens que vous avez donnés à mes faibles essais ont éveillé en moi des sentimens tumultueux que je croyais devoir toujours ignorer. Votre voix, qui m’a fait entendre les mots de gloire et de renommée, vibre sans cesse à mon oreille, et malgré moi j’en écoute les accens magiques. Il s’élève alors dans mon ame je ne sais quel orgueilleux orage. Ce matin, le croiriez-vous ? je me suis surpris me frappant le front et disant comme Chénier : Il y a quelque chose là ! Quelle folie, n’est-ce pas ?

— Non, ce n’est point de la folie, dit Mme de Pontailly avec une douce gravité ; j’en atteste un instinct qui ne m’a jamais trompée ; il y a en effet quelque chose là.