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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/466

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REVUE DES DEUX MONDES.

de sévérité et de douceur ; en vous donnant cette bague, ou du moins en vous permettant de la porter, ma nièce en a sans doute accepté une semblable ?

— Madame…

— Votre embarras me prouve que j’ai deviné. Henriette a été bien imprudente, mais je n’ai pas besoin de vous dire combien votre conduite me paraît plus blâmable encore. Abuser de l’inexpérience d’une jeune fille pour lui imposer un engagement qui la met en révolte ouverte contre son père ! Ah ! c’est mal, monsieur. Sans doute, selon l’usage des amans romanesques, vous vous êtes promis une fidélité qui doit être éternelle, à moins que vous ne vous rendiez vos anneaux ?

— Je ne puis le nier, madame, répondit le vicomte en apparence confus.

— Et maintenant, si j’en crois vos aveux de tout à l’heure, ce lien commence à vous paraître ce qu’il est en réalité, puéril et téméraire ; maintenant, convenez-en, vous n’hésiteriez pas à renoncer à cet anneau, si ce sacrifice devait vous dégager de vos sermens.

— Madame, la clairvoyance qui lit dans les cœurs est parfois cruelle.

— Cruelle, mais salutaire, dit la marquise avec solennité. Je vous rendrai service malgré vous, monsieur, et en même temps je réparerai la folie de ma nièce. Plus tard, vous me remercierez tous deux.

— Eh quoi ! madame, auriez-vous le dessein de rendre cette bague à Mlle Henriette ? s’écria le vicomte d’un air effaré.

— Aujourd’hui même, répondit Mme de Pontailly en se levant ; pas de supplications, vous me trouveriez inflexible. Je ne sais pas transiger avec mon devoir.

Moréal s’inclina, et sa physionomie prit l’expression d’une soumission pénible. La rigidité empreinte sur les traits de la marquise s’adoucit graduellement.

— Je ne peux pas cependant vous dépouiller sans vous donner une indemnité, dit-elle avec un demi-sourire.

Mme de Pontailly se retourna vers la cheminée, éparpilla du doigt plusieurs objets placés confusément sur une coupe, et finit par choisir un petit porte-crayon d’or.

— Tenez, poète, dit-elle en le présentant gracieusement au vicomte, il y a peut-être dans ce crayon-là un pendant aux Méditations de Lamartine.