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REVUE DES DEUX MONDES.

— Suivez ce coupé brun partout où il ira, lui dit-il ; si vous ne le perdez pas de vue, il y a vingt francs pour vous.

Pour gagner un pareil pour-boire, il n’est guère de cocher qui ne crevât de bon cœur les chevaux de son maître. L’automédon du char numéroté qu’avait pris Moréal se maintint donc, à grand renfort de coups de fouet, à peu de distance de la voiture qu’il était chargé de suivre, contraignant ainsi ses maigres haridelles de lutter, au risque d’y périr, contre le fringant attelage de la marquise. Le coupé, toujours escorté du fiacre, tourna à droite en quittant la rue Laffitte, suivit les boulevards jusqu’à la Madeleine, prit la rue Royale, traversa le faubourg Saint-Honoré, s’engagea dans la rue du Faubourg du Roule, et, arrivé enfin au terme de cette longue course, s’arrêta devant une maison de calme et sévère apparence, dont la porte était surmontée d’une longue enseigne que décorait l’inscription suivante :

MAISON D’ÉDUCATION DE MADAME DE SAINT-ARNAUD.
Boarding school for young ladies.

Ecco il luogo ! ecco l’urna ! se dit Moréal en parodiant machinalement l’exclamation de Roméo descendant au tombeau de Juliette.

La porte du pensionnat s’ouvrit, et la voiture de Mme de Pontailly entra dans une assez vaste cour, que le vicomte put entrevoir au passage ; car, pour éviter d’attirer l’attention, il se fit conduire jusqu’à la barrière. Là, il quitta le fiacre et revint avec précaution sur ses pas. Pour lever le plan de certaines localités, les amoureux ont un instinct particulier qui, sans étude préliminaire, éclipse la science des ingénieurs-géomètres. En moins de cinq minutes, Moréal se rendit un compte assez exact de la topographie de la place, quoique par prudence il n’en eût reconnu que les ouvrages extérieurs.

La maison de Mme de Saint-Arnaud, dont la façade donnait dans la rue du Faubourg du Roule, bordait de flanc l’entrée d’un passage aboutissant au quart de cercle que décrit le chemin de ronde derrière la barrière de l’Étoile. Cette longue et étroite ruelle, qui porte le nom peu connu d’avenue Sainte-Marie, traverse des jardins mutilés en partie par la spéculation des architectes, ce fléau du Paris moderne. Au lieu des touffus ombrages qui donnaient jadis à l’espace compris entre l’ancienne folie Beaujon et la barrière du Roule l’agrément d’un parc dont quelques pavillons à destination mystérieuse n’altéraient pas la champêtre physionomie, on n’aperçoit plus