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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/484

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REVUE DES DEUX MONDES.

Pontailly, personne n’eût soupçonné l’implacable ressentiment qui couvait dans son cœur. Elle accueillit le journaliste avec sa dignité habituelle, tempérée par une nuance d’enjouement.

— Je vous ai prié de venir ce soir, parce que je désire causer sérieusement avec vous, dit-elle ; M. de Pontailly dîne dehors, et nous ne serons pas dérangés. Mais, d’abord, racontez-moi les détails de votre emprisonnement ; cela doit être curieux.

En adressant cette demande à Dornier, la marquise n’avait d’autre but que de faire preuve d’une parfaite liberté d’esprit, afin de détruire les conjectures qu’avait pu former le journaliste à l’égard des secrets motifs de ce rendez-vous imprévu. Elle écouta d’un air attentif et en paraissant s’y intéresser le récit qu’elle venait de provoquer, et reprit ensuite la parole avec un affable sourire :

— En vérité, dit-elle, vous avez droit à une indemnité, et j’y veux contribuer pour ma part. Vous m’avez dit, à propos de ce journal, qu’un versement de fonds lèverait bien des difficultés. La somme dont vous m’avez parlé est là dans mon tiroir, et je la mets à votre disposition.

Dornier, qui, dans la matinée, avait obtenu près de M. Chevassu un succès de même nature, se confondit en remerciemens.

— Vous êtes notre providence, madame, dit-il dans un beau transport d’enthousiasme ; ce n’est pas en mon nom que je vous remercie, car si j’entreprends une pareille œuvre, ce n’est point par intérêt, mais par dévouement. Rédacteur en chef, la position n’est pas fort éminente, et à coup sûr les ennuis en passent les agrémens ; mais je vous remercie, madame, au nom de la littérature livrée depuis quelques années à d’ineptes et grossiers manœuvres : sous votre patronage si éclairé, nous la tirerons, j’espère, de l’état d’abaissement où elle se trouve aujourd’hui. Certes, si quelques lettres d’un style assez piquant ont fait vivre le nom de Mme de Sévigné, si deux nouvelles où Segrais a eu la meilleure part ont suffi pour établir la réputation de Mme de La Fayette ; si trois ou quatre ouvrages trop vantés ont rendu Mme de Staël immortelle, quel renom n’est pas assuré à la femme aussi supérieure par l’ame que par l’esprit, qui la première aura donné l’impulsion à notre régénération littéraire ?

Le matin, Dornier avait dit à M. Chevassu : Notre journal vous mènera droit à la chambre des pairs. Volontiers il eût dit à Mme de Pontailly : Notre journal vous ouvrira les portes de l’Académie ; mais la littérature, en France, ayant aussi sa loi salique, il dut se con-