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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/542

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REVUE DES DEUX MONDES.

le second acte. Il est furieux ; il se croit trompé par Charlotte, qu’il soupçonne d’avoir tout avoué à Mme de Maintenon, et d’avoir combiné avec la vieille favorite le plan habile qui a déjoué le sien, et qui a fait d’un homme à bonnes fortunes la dupe d’une pensionnaire. Il n’avait donc voulu que séduire Charlotte de Mérian, et ne l’aimait pas. Il avait voulu la séduire, mais il l’aimait ; il l’aime encore, et il y a là une donnée neuve au théâtre, une donnée vraie, dans la situation de cet homme qui ne veut plus, dès qu’on le lui impose, d’un cœur qu’il désirait la veille ardemment, et qui se croit mystifié, parce qu’on le force d’accepter ce qu’il voulait avoir la gloire de ravir. Pendant qu’il exhale sa colère, le comte de Mauléon arrive pour chercher ses lettres. Une idée traverse l’imagination de Saint-Hérem, il suivra le prince en Espagne, il fuira cette Charlotte qui l’a si indignement trompé, et ce Paris et ce Versailles où il va être si ridicule. Le prince souscrit volontiers à ce voyage, et se retire pour faire place à Dubouloy. Dubouloy ignore le sort de son ami, et de ce qui s’est passé la nuit dernière, il ne connaît que son aventure, dont le récit égaie fort l’auditoire. Il vient tout exprès pour se couper la gorge avec Saint-Hérem, parce qu’il s’imagine qu’il est cause de sa disgrace ; quand il apprend la vérité, sa colère tombe, et il accepte avec joie la proposition de suivre le vicomte en Espagne. Tout cela est d’un dialogue vif, animé, plein de traits, qui vous emporte sans que vous ayez le temps de réfléchir. Le second acte n’est pas fini ; Saint-Hérem ne veut pas partir pour l’Espagne avant d’avoir eu une explication avec Charlotte.

La scène est belle. En effet Charlotte est innocente de la trahison qu’on lui impute, et elle se justifie avec naïveté et chaleur. Chose singulière, il faut ici reprocher à M. Dumas d’avoir fait trop bien parler son héroïne. Elle est si pathétique et si attendrissante, elle montre tant de douleur et laisse deviner tant de passion, elle a tant de noblesse dans sa colère contenue, que, sans être amoureux, on est convaincu de son innocence, tandis que Saint-Hérem, qui l’aime et qui doit être plus accessible, s’obstine à ne pas y croire ; et lorsque Charlotte indignée s’écrie éloquemment : Une fille noble doit avoir sa parole d’honneur comme un gentilhomme ! eh bien ! je vous jure que je l’ignorais, Saint-Hérem, c’est là le sentiment qu’on éprouve, devrait se jeter à ses genoux, lui demander pardon. Je sais bien que nos don Juan ne le feraient pas !

En France, chez les jeunes générations, le respect de la femme, autrefois si profond, diminue et se perd. Dans ce pays où les femmes étaient si honorées et placées si haut, on en est venu, à leur égard, à une espèce de mépris brutal qu’on a érigé en suprême bon ton. La délicatesse des anciennes mœurs en amour fait place à une grossièreté systématique dont on se fait honneur, dont on se pare : c’est de la force d’ame. Eh bien ! je dis que Saint-Hérem, dans la scène qui nous occupe, est un homme de ce temps-ci et non pas du siècle de Louis XIV, et que l’auteur a commis un anachronisme de sentiment. Je vais prendre un exemple à côté du vicomte de Saint-Hérem, le marquis de Sévigné. Si l’on se souvient des lettres où la célèbre marquise raconte les