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ment séduisantes, quoiqu’elles ne se ressemblent pas. — Les deux maris écoutent gravement la confidence, et ne se demandent pas pourquoi on la leur fait. Il faut avouer qu’ils se montrent un peu simples. S’il en était autrement, il est vrai, la jolie scène du bal n’aurait pas lieu, et nous y perdrions. Les dames arrivent, le visage couvert d’un masque, et au bras du roi qui galantise, comme dit Saint-Simon. Le roi, appelé ailleurs dans la fête, s’éloigne et remet les gracieux dominos aux bras de Saint-Hérem et de Dubouloy. Il y a échange. La vicomtesse prend le bras de Dubouloy, et Louise celui du vicomte. Sous le masque, les rôles ne sont plus les mêmes : comme on cache son visage, on déguise son ame. Louise est sentimentale et triste ; Charlotte, moqueuse et piquante. Les propos vont vite ; on tourmente ces pauvres maris, on fait mille allusions à leur aventure. Ils sont piqués au jeu, et deviennent de plus en plus galans ; enfin, chacun d’eux demande avec instance à sa belle promeneuse qu’elle daigne se démasquer un moment. Les belles dames se font beaucoup prier et finissent par consentir. Elles ôtent leur masque : ces coups de théâtre réussissent toujours. La fin de ce troisième acte est enlevée en un tour de main.

Dans le quatrième et le cinquième actes, l’intérêt se développe et va croissant. Le roi s’est épris de Mme de Saint-Hérem, dont il ignore le vrai nom. Le grand-maître des cérémonies s’est aperçu de cet amour, et il arrive, amoureux de sa femme comme toujours, et de plus jaloux, chez la vicomtesse, rue d’Alcala, où le roi doit venir aussi. Là il apprend de la bouche de Louise que c’est elle, elle seule, qui est coupable de la trahison de Saint-Cyr, et il apprend de la bouche de Charlotte de Mérian qu’elle n’est plus sa femme ; que, grace à Mme de Maintenon, le mariage a été cassé, et qu’elle est libre, parfaitement libre. Elle prend sa revanche ; c’est elle qui le fuit maintenant. Le vicomte est plus passionné que jamais, et la jalousie le dévore. Cela tourne au drame ; mais la comédie rentre en scène avec Dubouloy, qui, apprenant l’annulation du mariage de Saint-Hérem, conclut à l’annulation du sien. Ce quiproquo fait naître entre Louise et son mari une scène des plus gaies. Dubouloy est toujours marié, et il envie le bonheur de Saint-Hérem, qui ne l’est plus. Le roi vient au rendez-vous, et Saint-Hérem achève de perdre la tête. Charlotte comprend tout, devine tout ; elle est heureuse d’avoir reconquis le cœur de Saint-Hérem, mais on peut lui reprocher de tromper le roi, et il y a une scène où pour obtenir, — le mot est poli, — la signature du prince au bas d’un ordre qui enjoint à Saint-Hérem de quitter le royaume, elle a recours à des moyens qui ne sont pas d’une honnête femme ; elle sort de son caractère, et diminue l’intérêt qu’elle avait excité. On ne peut pas approuver non plus la scène où Saint-Hérem insiste auprès de sa femme pour lui persuader que le roi l’aime passionnément, en cherche des preuves de tous côtés et n’en trouve que trop ; ce mouvement n’est pas naturel. Un mari qui aime sa femme ne cherche pas à lui prouver qu’un autre l’aime autant que lui, surtout quand cet autre est un roi et un jeune roi. L’auteur, évidemment, est dans le faux.