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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/596

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Vous me pardonnerez, j’espère, ma réserve, lorsque je vous en aurai expliqué les motifs.

— Soit ; nous déviderons cet écheveau-là plus tard ; en ce moment, ne compliquons pas la discussion. Puisque vous êtes chez vous, votre présence ici se justifie d’elle-même ; mais la vôtre, monsieur Dornier, me paraît un peu plus difficile à expliquer.

— Pas plus que la vôtre, je crois, mon cher Prosper, répondit le journaliste avec un sourire contraint.

L’étudiant redoubla de solennité.

— Je croyais vous avoir prévenu, reprit-il, que vous ne deviez plus compter sur mon amitié. Dès-lors toute épithète affectueuse devient déplacée entre nous.

— Comme il vous plaira, répliqua Dornier sans cesser de sourire ; si vous ne m’aimez plus, je vous aime toujours, et je saurai attendre avec patience la fin de votre caprice.

— D’abord, veuillez répondre à une question que j’ai le droit de vous adresser, car c’est ma sœur qui est la cause innocente de tout ceci. Que venez-vous faire chez M. de Moréal ? Je ne suppose pas que vous soyez devenu son ami.

— Je reconnais que la supposition serait hasardée, dit le journaliste d’un air sardonique.

— Dois-je croire alors qu’oubliant la promesse que vous avez faite avant-hier à mon oncle, vous venez ici dans une intention hostile ?

— Supposition aussi mal fondée que la première.

— Expliquez-vous, morbleu ! Puisque le mot de l’énigme n’est ni paix ni guerre, je renonce à le chercher.

— Je me joins à M. Chevassu, dit sérieusement le vicomte, pour vous prier de nous dire à quoi je dois l’honneur de recevoir votre visite.

Pendant cette discussion préliminaire, Dornier avait recouvré sa présence d’esprit habituelle. Promenant sur les deux alliés un regard tranquille, il répondit avec une sorte de légèreté insouciante :

— Messieurs, aux termes où nous en sommes, il faut de la franchise ; j’espère que vous serez contens de la mienne. Pour répondre catégoriquement à vos questions, je vous dirai que je ne suis venu dans ces lointains parages ni à titre d’ami ni à titre d’ennemi.

— À quel titre donc, de par tous les diables ? s’écria impatiemment l’étudiant.

— À titre d’amoureux, si vous le trouvez bon, reprit Dornier