Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
620
REVUE DES DEUX MONDES.

gens naïfs qu’ils sont dans la confidence des secrets les plus importans. Depuis l’ouverture des chambres, M. Chevassu, oubliant la prudente réserve qu’il s’était promis d’observer pendant quelque temps, fatiguait de son éloquence d’avocat non moins que de sa morgue de magistrat le bureau dont il faisait partie ; s’étourdissant lui-même au bruit de ses paroles, il ne s’apercevait pas qu’il devenait à chaque réunion plus insupportable à ses collègues, fort habile qu’il était d’ailleurs à interpréter d’une manière flatteuse pour son amour-propre les petites vicissitudes de son début dans la vie parlementaire. Tandis qu’il parlait, un autre député semblait-il s’endormir, c’est qu’auditeur charmé, il se recueillait dans son admiration. N’obtenait-il aucune réponse à ses argumens, c’est qu’il leur avait fermé la bouche à tous. Se voyait-il interrompu par des murmures improbateurs, c’était la pâle envie. Quelque observation critique dont il faisait les frais arrivait-elle jusqu’à son oreille, c’était le moucheron importun que devait mépriser le lion.

Deux soucis cependant troublaient ces enivremens préliminaires ; le premier était la crainte qu’éprouvait M. Chevassu au sujet de son élection, car on parlait d’une enquête pour vérifier certains faits allégués dans la pétition des électeurs douaisiens, et jusque-là se trouvait ajournée l’admission définitive du député ; le second était l’inexplicable conduite de Dornier, dont la disparition subite sapait par la base la fondation du nouveau journal. À ces deux sujets d’inquiétude s’enjoignit inopinément un troisième beaucoup plus grand.

Un matin, au moment où M. de Pontailly déjeunait en tête-à-tête avec la marquise, une des portes de la salle à manger s’ouvrit avec bruit, et les deux époux virent entrer pâle, défait et presque hors de lui, M. Chevassu, si compassé d’ordinaire.

— Passons dans votre chambre, dit-il à sa sœur d’une voix altérée, et surtout, ajouta-t-il tout bas, qu’aucun de vos domestiques ne puisse nous entendre.

Mme de Pontailly se leva, inquiète, malgré son égoïsme, de l’état où elle voyait son frère ; le vieillard en fit autant, et tous trois passèrent dans un petit parloir attenant à la chambre à coucher de la marquise.

— Henriette a disparu, dit alors le député en écartant les bras par un geste pathétique.

— Henriette ? s’écria la marquise, dont la figure exprima aussitôt une émotion extraordinaire.

— Calmez-vous, Chevassu, et racontez-nous ce qui s’est passé, dit