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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/628

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REVUE DES DEUX MONDES.

avec véhémence ; même à travers sa douleur paternelle perçaient les habitudes ampoulées du barreau. Le marquis gardait le silence, et l’on pouvait attribuer à l’abattement que cause souvent le chagrin l’immobilité de son attitude. Mme de Pontailly enfin réfléchissait profondément, tout en ayant l’air d’écouter avec sympathie les déclamations de son frère ; une tristesse officielle était peinte sur son visage, mais ses pensées secrètes donnaient un démenti formel à ce simulacre d’affliction.

— J’ai eu tort d’accuser Dornier de lâcheté, se disait-elle, il a agi. Son absence, le départ de Dominique, la disparition d’Henriette, tout s’accorde. Plus de doute, je suis vengée !

— Un seul homme a pu se rendre coupable d’un tel attentat, s’écria tout à coup M. Chevassu ; c’est cet infâme Moréal !

Il n’entrait pas dans les vues de la marquise de laisser peser sur le vicomte un pareil soupçon ; pour que sa vengeance fût complète, il fallait que Dornier épousât Henriette. Attribuant à ce dernier l’enlèvement de la jeune fille, c’était servir sa propre rancune que de le désigner comme le véritable ravisseur, et d’obtenir pour lui le pardon du père outragé.

— Mon frère, dit-elle d’un ton d’affectueuse gravité, si légitime que soit votre douleur, elle ne doit pas vous rendre injuste. Vous savez que je n’ai jamais plaidé près de vous la cause de M. de Moréal ; je ne crains donc pas que vous m’accusiez de partialité en sa faveur. Eh bien ! je dois vous déclarer que vos soupçons me semblent mal fondés, et que je le crois tout-à-fait étranger à ce malheureux évènement.

— S’il n’est pas coupable, qui donc accuser ?

— Un homme que vous aimez, un homme qui, en raison même des preuves d’affection qu’il a reçues de vous, aura cru pouvoir compter sur votre indulgence.

— Dornier !

— Je le crois.

— Mais c’est impossible. Quelle raison aurait pu avoir Dornier pour enlever ma fille ? Ne la lui avais-je pas promise en mariage ?

— Il aura craint que vous ne changiez d’avis. Il a su que vous aviez paru fort refroidi à son égard pendant quelques jours. Les poursuites de M. de Moréal, les caprices d’Henriette, une passion irritée par les obstacles, l’inquiétude, la jalousie, que sais-je encore ? tout cela lui aura monté la tête. Ce n’est pas par la raison que brillent les amoureux, et un parti téméraire est si tôt pris.