Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/699

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
693
ARISTOPHANE.

journées de la guerre des Perses, et des petits services par lesquels ils cherchaient à capter le peuple, et du peuple lui-même qui s’y laissait prendre. En effet, ce coussin réussit à merveille pour le charcutier : « Qui es-tu donc, mon brave ? lui dit ce bon Peuple tout enchanté ; est-ce que tu es de la race du grand libérateur Harmodius ? Mais c’est très beau, cela, vraiment, et très populaire, ce que tu viens de faire là ! » Voilà donc que le charcutier gagne du terrain ; il s’enhardit, il reproche à Cléon les troubles et les malheurs de la Grèce ; et quand celui-ci prétend que son but n’était autre que de faire régner Athènes sur l’Arcadie et la Grèce entière, l’autre s’élève à des tons oratoires : « Non, s’écrie-t-il, ta pensée n’était pas de nous soumettre l’Arcadie ; tu voulais piller, tu voulais pressurer les villes pour ton propre compte ; tu voulais que le peuple, à travers la poussière des combats, ne pût voir tes crimes, et qu’il restât, par nécessité, par besoin, par la solde, suspendu à tes caprices. Ah ! si jamais il retourne à ses champs, si, au milieu de ses moissons et de ses oliviers, il reprend courage et calcule ce qu’il lui en a coûté, alors il comprendra combien de félicités tu as taries pour ne lui donner qu’une misérable solde ; alors il reviendra aigri, furieux, pour te lapider de sa boule noire. Tu le sais, et c’est pour cela que tu le joues avec tes vains songes et tes projets en l’air. »

Ce n’est pas tout. Nous avons déjà parlé des oracles dont les politiques de ce temps-là se servaient pour subjuguer le peuple par un détestable abus de la religion. Cléon, poussé à bout, veut recourir de nouveau à cet artifice ; mais le charcutier ne recule pas encore devant l’épreuve : il inventera bien aussi des oracles. Cléon en apporte un gros paquet ; le charcutier en apporte une charge. Lisez-nous cela, dit le Peuple. Cléon commence : — Écoutez maintenant, et appliquez votre esprit : « Fils d’Érechthée, médite le sens des oracles qu’Apollon a criés du fond de son sanctuaire par les trépieds vénérables. Il te commande de garder le chien sacré aux dents aiguës qui, en aboyant devant toi et en faisant grand bruit pour te défendre, t’assure un bon salaire, et périra s’il cesse de remplir ce devoir, car d’innombrables geais croassent de haine contre lui. » — Par ma foi, je n’y comprends pas un mot, dit le Peuple ; quel rapport y a-t-il entre Érechthée et vos geais qui croassent, et votre chien qui aboie ? — Le chien, c’est moi, dit Cléon, puisque j’aboie pour vous, et Apollon veut que vous me gardiez, moi votre chien. — Ce n’est pas cela, répond le charcutier : voici le véritable oracle du chien. Et il se met à en débiter un autre non moins significatif, mais en sens con-