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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/704

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au Caucase : incidens divers auxquels on a donné plus tard des interprétations mystiques, mais qui ne furent dans l’origine que l’épopée populaire de la lutte des deux races pendant ce moyen-âge de la Grèce.

Le fruit de ce premier empiètement n’était donc pas seulement un bénéfice matériel ; c’était un résultat politique, car, en participant à la victime, en s’approchant de la table sacrée qui était dressée à cet effet dans les temples, la population indigène arrivait à l’égalité devant Dieu, et la caste, telle qu’elle s’était constituée en Orient et en Égypte, devint impossible désormais sur la terre des Pélages. Pour marquer cette fusion, une part des victimes publiques fut réservée aux représentans de l’état ; les rois de Sparte et les prytanes d’Athènes avaient la leur ; après le banquet, on en portait un morceau chez soi, comme chose de bon augure et protectrice ; on en envoyait des portions à ses amis absens. Cependant, à ces changemens le motif d’économie se mêlait bien aussi ; la munificence des premiers temps s’affaiblissait ; les chiliombes ne se répétaient guère ; les hécatombes aussi rencontraient beaucoup d’objections ; Solon essaya même de prohiber le sacrifice des bœufs, qu’il jugeait trop utiles à l’agriculture pour qu’on les détruisît en si grande quantité. Il est vrai que la population augmentant, l’agriculture remplaçant la vie pastorale, le commerce éveillant des besoins inconnus, les troupeaux représentaient une valeur croissante ; en même temps les chefs de clans qui pouvaient envoyer leurs bœufs par milliers paître dans la montagne devenaient rares. Mais l’hécatombe était un usage immémorial et sacré, un devoir en certains cas, et toujours une œuvre très agréable aux dieux et aux prêtres ; et ceux-ci ne manquaient pas de remontrer aux puissans et au sénat combien ils dégénéraient de la piété de leurs ancêtres. Or, que fit-on entre ces deux écueils ? On adopta un de ces expédiens de transition si fréquens dans les affaires humaines ; on changea la chose, et on garda le mot. Il y en eut qui prétendirent qu’une hécatombe n’était pas précisément un sacrifice de cent bœufs, mais de cent têtes d’animaux quelconques ; c’était déjà quelque chose que de pouvoir substituer un mouton à un bœuf. Il y en eut qui soutinrent, en vertu d’une figure de rhétorique dont je ne sais plus le nom, que les cent bœufs ne signifiaient autre chose qu’un nombre assez considérable de bœufs. Il y en eut de plus ingénieux encore qui affirmèrent que le mot hécatombe avait été corrompu par une mauvaise prononciation, et qu’au lieu de bous, bœuf, d’où la dernière syllabe du mot grec dérive, il fallait pous, pied, de