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chaient les égaux des principaux magistrats. Mais cette fonction, qui était, aux yeux du peuple, d’alimenter la gloutonnerie des dieux, finit par leur attirer des brocards de toutes sortes ; leur nom même fut donné à ces quêteurs de dîners, à ces visiteurs inévitables, qui vivent aux dépens de tout le monde, et s’ingénient toute la journée à se faire inviter pour le soir. Telle fut l’origine du parasite, ce personnage si souvent traité dans la comédie postérieure à Aristophane et dans celle des Latins. D’ailleurs, on fraudait la divinité : c’était une loi générale que la victime fût saine, sans défaut, point fatiguée par le travail ; à l’époque d’Aristophane, on immolait souvent des bêtes malades et impropres à tout service. Les Athéniens accusaient surtout Lacédémone de cette supercherie coupable, et long-temps après Tertullien reprochait encore à tous les païens en général une grossière mauvaise foi à l’égard des dieux. Ce n’était donc point sans concours et sans auxiliaires que la comédie engageait une attaque en régle, et sur tous les points, contre l’impôt du sanctuaire ; elle s’appuyait d’un côté sur des abus réels, de l’autre sur un sentiment d’aversion très répandu, et la comédie des Oiseaux peut être considérée comme l’une des plus hardies expéditions de cette guerre.

Qu’est-ce donc enfin que les Oiseaux ? quel en est le sujet ? Laissons là tous les commentaires, et voyons la pièce dans sa simplicité. Dans les Chevaliers, Aristophane renverse Cléon ; ici, il renverse Jupiter : voilà le dénouement. Comment s’y prend-il ? En assiégeant l’Olympe, d’une façon beaucoup plus fantastique, il est vrai, que n’avaient fait les titans d’autrefois, mais qui n’en va que mieux au but. Ce but se déclare sans détour dès l’exposition. « Oiseaux, bâtissez une ville dans l’air, afin que les dieux ne puissent plus communiquer avec les hommes ni recevoir leurs sacrifices ; alors il faudra bien qu’ils se soumettent, ou qu’ils meurent de faim. » Voilà donc qui est bien clair. Le poète se place dans les idées populaires sur le sacrifice, dont nous parlions tout à l’heure : il met en relief tout d’abord dans les dieux leur qualité de mangeurs gigantesques, et il part de là pour provoquer le peuple à leur couper les vivres. Il ne faut donc pas chercher ici, comme l’a fait le père Brumoy, une allégorie de quelque fait de la guerre du Péloponèse, allégorie qui serait sans motif, sans intérêt, et en outre indéchiffrable ; ce n’est pas non plus, comme d’autres l’ont supposé, une simple utopie, une république imaginaire, semblable à celle de Platon ; rien n’y indique une tendance organique ni un idéal qui ait l’air le moins du monde de se proposer