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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/711

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ARISTOPHANE.

aussi offrir un sacrifice à l’universalité des dieux : eh bien ! on remplacera Vesta par le milan, Neptune par l’épervier, Apollon par le cygne, Bacchus par le pinson, Latone par la caille, Cybèle par l’autruche, etc., substitutions motivées par des allusions et des calembours. Le nom de la ville sera Néphélococcygie, la ville aux coucous dans les nuages. « C’est là, dit le poète par parenthèse, que sont situées les immenses propriétés de Théagène et d’Eschine, » deux hâbleurs d’Athènes qui avaient des châteaux dans les espaces imaginaires ; « c’est là aussi que se trouvent ces champs phlégréens, où les matamores de l’Olympe se vantent d’avoir foudroyé les géans, enfans de la terre. » Pendant toutes ces cérémonies liturgiques, la construction se poursuit et s’achève. C’est comme une page des plus burlesques de Callot. Trente mille grues de l’Afrique, ayant avalé des pierres, sont venues les déposer dans les fondemens ; dix mille cigognes ont fait des briques ; les oiseaux aquatiques montaient de l’eau ; les hérons aux longs pieds gâchaient le mortier dans les auges, les hirondelles maçonnaient. La ville n’est pas encore achevée, que déjà des poètes viennent avec des odes, des devins avec des oracles, des géomètres avec la règle pour aligner les rues, des commissaires de police avec des arrêtés, des crieurs publics avec des lois sur les poids et mesures : toutes les gênes de la civilisation envahissent le jeune établissement ; Pisthétère met tout ce monde à la porte à coups de bâton. On n’a pas hasardé une si grande révolution pour reconstituer l’ancien régime. Une autre classe d’intrigans se présente encore : ce sont ceux qui adhèrent à l’ordre nouveau, dans l’espoir d’y trouver la satisfaction de leurs mauvaises passions. Ils arborent les couleurs révolutionnaires ; ils veulent être oiseaux, et demandent qu’on leur fournisse des ailes ; ils ne parlent que de s’élancer sur les mers, de planer sur le monde, de voler de progrès en progrès dans le nouvel ordre de choses. L’un s’imagine qu’il sera permis désormais d’étrangler son père pour recueillir plus tôt son héritage : c’est pourquoi il raffole de la république des oiseaux, et veut absolument s’y faire naturaliser. Un autre fait métier de dénoncer, de calomnier, de traîner devant les tribunaux démocratiques les malheureux sans protection ; car, dit-il pour se justifier, je ne sais pas bêcher la terre, et il faut bien que je vive. Cela s’appelait un sycophante. Il lui faut donc des ailes, afin qu’il puisse fureter partout des victimes, les assigner vite, confisquer leurs biens plus vite encore. Pisthétère se préserve parfaitement bien de ces excès contraires, et, se maintenant dans un juste-milieu très solide, il repousse également de la