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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/718

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lues et saugrenues qui fermentaient dans des cervelles visionnaires, et qui proposaient de soumettre la famille, l’état, la vie humaine enfin à une refonte générale. Il nous est parvenu de ces sortes de théories un échantillon assez curieux dans la République de Platon ; mais à côté de ce produit grandiose, quoiqu’en aucune façon viable, d’un homme de génie, il pullulait bien d’autres embryons philosophiques. Par exemple, il y avait des femmes qui voulaient être émancipées, et même, encouragées sans doute par l’exemple d’Aspasie, cette femme libre de la quatre-vingt-troisième olympiade, elles prétendaient gouverner l’état. Aristophane les met donc à l’œuvre ; elles commencent par proclamer toutes les réformes qui ont séduit leur imagination. Et d’abord la communauté des biens : toutes les propriétés réunies au domaine public seront distribuées par les capables aux incapables ; il n’est pas dit cependant si chacun aura selon sa capacité, et chaque capacité selon ses œuvres. Sous ce régime si logique, il y aura des repas en commun, exquis, abondans, joyeux, de vrais festins de phalanstère. Bien mieux, les enfans appartiendront à tout le monde, afin de supprimer les embarras de la famille, et alors, la famille devenant une institution sans but, il n’y a plus de raison pour que chacun ait sa femme à soi ; donc toutes les femmes seront communes à tous. C’est facile à dire, mais comment concilier ces droits devenus si complexes ? La communauté des femmes ne peut manquer en pratique de produire une caste de parias ; car les laideurs de l’un et de l’autre sexe, qui en voudra ? et si la beauté devient une aristocratie, que devient la théorie de l’égalité, le règne universel du plaisir ? Rien n’embarrasse nos harangueuses ; elles inventent là-dessus toute une législation grotesque, trop grotesque pour que nous en puissions traduire les articles, mais logique, appropriée au principe et très propre à montrer combien tous ces systèmes, qui ne sont pas nouveaux sous le soleil, contrarient les lois éternelles de la nature, et conduisent par conséquent à des résultats absurdes. De nos jours on a donné ces choses-là pour des découvertes qui devaient changer la face du monde. On se croit aisément inventeur quand on ignore ce qu’ont inventé les autres, et nul ne dispose aussi volontiers de l’avenir que celui qui ne sait rien du passé.

Comme critique littéraire, nous pourrions citer les pièces dirigées contre Euripide ; c’est de la parodie, mais de la parodie intelligente et fondée en raison. Aristophane, éclairé par un bon sens toujours sûr dans les choses importantes, voyait très bien qu’Euripide abusait des moyens matériels, des passions échevelées, des douleurs trop