Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/730

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
724
REVUE DES DEUX MONDES.

villes presque ouvertes résistent à un bombardement de cinq jours, et que la religion associe ses prières à l’élan du peuple, on ne peut révoquer en doute la profondeur du sentiment national. Séville a prononcé contre le gouvernement de la régence un arrêt sans appel.

On sort d’une révolution comme on peut. L’essentiel est d’en sortir promptement, de rentrer le plus tôt possible dans des voies régulières qui, sans s’écarter du but de la révolution, vous ramènent à un ordre permanent et légal.

Le gouvernement provisoire de l’Espagne a rempli, ce nous semble, ces conditions d’une manière aussi heureuse que les circonstances pouvaient le lui permettre.

Au lieu de convoquer les cortès dissoutes par Espartero, il a convoqué les colléges électoraux ; c’est là un hommage rendu au pays. Le cabinet Lopez étant, pour ainsi dire, une émanation des dernières cortès, il aurait eu l’air, en les convoquant, d’y chercher un appui personnel, un appui qui ne pouvait lui manquer. On aurait pu dire qu’il n’osait pas affronter le jugement national. Ajoutons que les cortès elles-mêmes auraient pu être quelque peu embarrassées de leur résurrection ; elles auraient craint de trouver leur autorité morale affaiblie par la circonstance qu’elles auraient été, pour ainsi dire, partie dans la lutte avec Espartero. Il fallait éloigner tout soupçon sur l’impartialité de leurs décisions ; il ne fallait pas que le parlement eût des souvenirs irritans, des affronts personnels à venger. En appeler à des cortès nouvelles, c’était se placer franchement, sans combinaisons, sans arrière-pensées, en présence du pays : c’est une résolution qui honore le gouvernement provisoire.

Ces considérations expliquent en même temps une autre mesure qui est le renouvellement complet du sénat au lieu du renouvellement par tiers. Le sénat espagnol étant électif, le renouvellement complet n’est encore qu’un appel au pays dans un moment solennel et décisif. Que les électeurs en présence d’une révolution accomplie disent, pour l’une comme pour l’autre chambre, quels sont les hommes auxquels ils estiment devoir confier les destinées de l’Espagne. Les hommes dignes de la confiance publique, les électeurs sauront les renvoyer au sénat, où ils arriveront purgés de tout soupçon d’espartérisme. La malveillance même ne pourrait plus les accuser d’être des ayacuchos et des agens de l’étranger. La mesure était surtout utile, nécessaire aux sénateurs eux-mêmes.

Mais de nouvelles élections ne sont pas l’œuvre d’un jour. En attendant, au nom de qui aurait-on gouverné ? D’une régence qui n’existe pas ou d’une reine qui existe, et à laquelle il ne manque que peu de mois pour atteindre la majorité légale ? Au lieu de quatorze ans, la reine Isabelle n’en compte que treize ; qu’importe ? Elle a assez vu et assez souffert pour qu’on lui suppose sans crainte un an d’expérience de plus que son âge naturel. Elle sait sans doute quels sont les hommes d’une fidélité éprouvée, d’un dévouement sincère aux intérêts de la monarchie et du pays ; c’est l’essentiel. Dans la situa-