Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/798

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
792
REVUE DES DEUX MONDES.

la baie du Port-Egmont. Elles avaient à bord 1,600 hommes de troupes de débarquement, 134 pièces de canon, et tout un équipage de siége. Les Anglais n’étaient pas préparés à résister à un si formidable armement ; l’établissement n’était fortifié d’aucune façon. Néanmoins le capitaine Matby refusa bravement d’obéir à l’ordre d’évacuation que lui fit transmettre le commandant des forces espagnoles, don Juan Ignacio Madariaga, et ce fut seulement après que le feu eut été ouvert par l’ennemi qu’il se décida à capituler. Le 10 juin, le commandant espagnol prit possession du Port-Egmont, et les colons anglais furent embarqués sur le sloop qui avait été inutile à leur défense.

Le ministère anglais avait traité avec un égal dédain les réclamations et les menaces de la cour de Madrid. Il reçut avec indifférence les renseignemens transmis par le chargé d’affaires en Espagne, M. Harris, sur l’activité qui régnait dans les arsenaux, et le bruit qu’une expédition se préparait contre les îles Falkland. L’arrivée du capitaine Hunt le laissa dans la même incrédulité. Sous l’empire des graves préoccupations que lui inspiraient son propre intérêt de conservation et la situation intérieure du pays, en proie alors à l’agitation la plus violente, il oubliait volontiers les questions de politique extérieure, et d’ailleurs il ne pouvait imaginer que l’Espagne se portât à cet excès d’audace. Qu’on juge de sa surprise lorsqu’il fut informé par l’ambassadeur d’Espagne à Londres que le gouverneur de Buenos-Ayres, don Buccarelli, avait pris sur lui de déposséder les Anglais du Port-Egmont. L’ambassadeur espagnol avait été chargé, disait-il, par le roi son maître de faire cette communication en toute hâte pour prévenir les conséquences qui pouvaient en résulter, si elle passait par d’autres mains que les siennes, et d’exprimer le souhait que, quelle que fût l’issue de cet acte entrepris sans aucune instruction particulière du cabinet espagnol, il ne troublât pas la bonne intelligence qui régnait entre les deux cours. Interrogé par lord Weymouth, secrétaire d’état chargé des affaires coloniales, s’il avait ordre de désavouer la conduite de don Buccarelli, l’ambassadeur espagnol répondit qu’il attendait pour le faire des instructions ultérieures de son gouvernement.

L’arrivée des colons du Port-Egmont souleva une indignation générale dans le pays. On s’attendait à voir le gouvernement agir avec cette promptitude et cette résolution qui de tout temps ont caractérisé la politique de l’Angleterre. Assurément l’acte du gouverneur de Buenos-Ayres suffisait pour autoriser des hostilités immédiates.