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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/82

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REVUE DES DEUX MONDES.

de toutes parts : l’amour oiseleur, l’amour moissonneur, l’amour vendangeur, vous devinez tout ce gai et sémillant poème où l’amour n’a pas le temps de soupirer. Il ferma sa mythologie mille fois entr’ouverte : il acheta une Bible ; mais, s’il avait lu la mythologie avec ferveur, il eut à peine la force de feuilleter la Bible et d’y promener un regard distrait. Par malheur pour lui, il savait la mythologie par cœur, Cupidon lui cachait l’enfant Jésus, les amours lui cachaient les anges, les nymphes de Vénus lui cachaient les vierges du paradis. Cependant il ne se découragea pas du premier coup. Il persista à feuilleter le livre des livres, il vit Rachel à la fontaine ; le malheureux peintre prédestiné ! il se rappela tout de suite Vénus au bain et Camargo qui posait souvent pour les faiseurs de Vénus. Il ferma la Bible, se disant que, pour oublier les minois chiffonnés de l’Opéra, il fallait tout simplement voir des figures naïves ; mais où les trouver alors, à moins de les prendre au berceau ? Qui sait ? le travail est un noble préservateur ; peut-être, en descendant chez le peuple, il retrouvera quelque figure angélique, où l’esprit ou plutôt le démon du siècle n’aura point passé, une figure digne de lui faire comprendre la grande simplicité de la Bible. Boucher chercha donc des inspirations en plein vent, résolu de traverser la grande ville dans tous les sens, résolu même d’aller, s’il le fallait, étudier en pleine campagne, sous le soleil de la prairie ou à l’ombre de quelque sainte église de village. Durant près de trois semaines, il vécut seul ; il finit par se délivrer peu à peu, lambeau par lambeau, de tous ses mordans souvenirs d’Opéra. « Que fais-tu donc ? lui demanda un jour le comte de Caylus. — Je fais pénitence, » répondit-il d’un air distrait.

La volonté est la souveraine maîtresse du monde. Un homme de bonne volonté peut tout conquérir : une vertu sauvage, une gloire inespérée, le génie même, cette échelle du ciel que Dieu n’accorde çà et là que pour joindre le ciel à la terre, sauf à la briser quand l’homme monte trop vite ou trop lentement. À force de volonté, qui le croirait ? Boucher jeta un voile sur le passé, il brisa les prismes trompeurs qui l’aveuglaient sur ce monde, il découvrit un autre horizon, une nouvelle lumière. C’est qu’une fille de son voisinage, que jusque-là il avait à peine remarquée, tant sa candeur sublime lui semblait niaise et fade, lui apparut tout d’un coup belle de la souveraine beauté, cette beauté qui est l’image du ciel.

Son atelier ou son boudoir était rue de Richelieu. Non loin de là, dans la rue Sainte-Anne, il passait presque tous les jours devant la boutique d’une fruitière ; sur le seuil de la porte, une jeune fille