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REVUE DES DEUX MONDES.

— Attendez, dit Boucher un peu enhardi, laissez-moi vous dire que vous êtes belle, et que je serais ravi de faire votre portrait.

— Ah ! vous êtes donc peintre ? C’est bien la peine de faire mon portrait. Ma belle-mère trouve que c’est déjà trop de l’original, et tout le monde est de l’avis de ma belle-mère.

— Excepté moi et quelqu’un encore.

— Qui donc ? demanda la jeune fille avec curiosité.

— Vous-même, et peut-être quelqu’un encore.

— Je ne comprends pas.

— Je me trompais, dit Boucher, qui avait vu toute la candeur de Rosine dans sa surprise.

À cet instant, une femme encore verte, quoique sur le déclin de la jeunesse, sortit de l’arrière-boutique d’un air assez grimaçant.

— Pourquoi tous ces discours-là ? demanda-t-elle en maîtresse de maison et en belle-mère.

— Pour la chose du monde la plus simple, répondit Boucher ; je viens acheter des cerises : je n’ai pas d’argent, mais j’offre de les payer par un portrait.

— Mon portrait ? dit la belle-mère en s’épanouissant.

C’était une coquette sur le retour qui ne manquait pas d’une certaine beauté brutale.

— Oui, votre portrait, dit le peintre en s’inclinant avec grace ; mais auparavant, madame, je veux faire celui de votre fille, ma main sera plus sûre pour faire le vôtre.

— Merci, merci, dit la fruitière piquée ; payez vos cerises, et que tout soit dit.

— Cependant, ma mère, dit Rosine, nous ne serions pas fâchées d’avoir notre portrait à si bon compte.

— Et encore, dit Boucher pour appuyer cette réflexion naïve, je vous donnerai les cadres par-dessus le marché.

La belle-mère se laissa séduire ; le peintre demanda une poignée de cerises, les mangea avec un certain charme en songeant que Rosine les avait touchées de ses jolis doigts, inscrivit sa demeure avec de la craie sur un mur de la boutique, et, saluant la belle-mère avec grace et Rosine avec admiration, alla se promener par la ville.

Le lendemain, vers midi, la fruitière et Rosine vinrent à l’atelier. Grande fut leur surprise quand elles virent toutes les folles richesses éparpillées dans cette curieuse demeure d’un artiste insouciant qui prenait l’argent d’une main pour le répandre de l’autre. La fruitière