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de Boucher ; il voulut s’élancer vers l’escalier, mais il s’arrêta à la pensée qu’elle reviendrait. Une autre serait revenue, Rosine ne revint pas. Avec elle, Boucher perdit tout espoir de vrai talent. La vérité était venue à lui dans toute sa force, sa grandeur et sa beauté ; il ne put s’élever jusqu’à elle. Il se mit à la recherche de cette mystérieuse apparition qui personnifiait si poétiquement sa muse.

En vain il courut le beau monde, en compagnie de Pont de Veyle et du comte de Caylus. Il fut de toutes les fêtes et de tous les spectacles, de toutes les promenades et de tous les soupers : il ne découvrit pas celle qu’il cherchait avec une si folle ardeur. Rosine n’était pas tout-à-fait bannie de sa pensée, mais dans ses souvenirs la pauvre fille n’apparaissait jamais seule, il voyait toujours son image en regard de celle de la dame inconnue. Un jour cependant, comme il contemplait sa vierge inachevée, il sentit que Rosine était encore dans son cœur ; il se reprocha l’abandon où il la laissait ; il résolut d’aller sur-le-champ lui dire qu’il l’aimait et qu’il l’avait toujours aimée. Il descendit et s’avança vers la rue Sainte-Anne, malgré un encombrement de fiacres et d’équipages. Une jeune fille passait de l’autre côté de la rue, un panier à la main. Il reconnut Rosine. Hélas ! ce n’était plus que l’ombre de Rosine, la douleur l’avait ravagée, l’abandon l’avait abattue sous ses mains glaciales. Il voulut traverser la rue pour la joindre ; un carrosse s’arrêta au passage, une femme mit la tête à la portière.

— C’est elle ! s’écria-t-il tout éperdu.

Il oublia Rosine, il suivit le carrosse résolu à toute aventure ; le carrosse le conduisit à un hôtel de la rue Saint-Dominique. Le peintre se présenta fièrement, une demi-heure après, sous le nom de Carle Vanloo, afin d’être reçu par la dame. Il fut reçu par le mari avec toutes sortes de bonnes graces.

— Quoi ! M. Carle Vanloo, l’espoir de la peinture ! Soyez le bienvenu.

— Je crois, monsieur le comte, avoir ouï dire que Mme la comtesse ne dédaignerait pas mon pinceau pour faire son portrait.

— Elle ne m’en a pas dit un mot ; mais je vais vous conduire dans son oratoire.

Tout aventureux qu’il était, Boucher voulut presque rebrousser chemin ; mais comme il était aussi embarrassant de battre en retraite sans raison que d’affronter le péril, il se laissa conduire à l’oratoire.

Ici l’histoire se complique ; si elle ne m’éloignait de mon sujet, je prendrais plaisir à vous raconter ce qui se passa dans l’oratoire, com-